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DIAL 3493

BRÉSIL - 50 ans immergées dans la vie du peuple

Antonio Canuto

mardi 30 avril 2019, mis en ligne par Dial

Les deux derniers articles de ce numéro dressent le portrait de religieuses engagées au Brésil auprès des Indiens yanomami, pour le premier, et des paysans pauvres, pour le second, ci-dessous. Antonio Canuto participe au Secteur de communication du Secrétariat national de la Commission pastorale de la terre (CPT). Ce texte a paru dans la revue Pastoral da terra (n° 232, janvier-mars 2018).


Qui arrive à l’établissement Lagoa da Onça [1], dans la commune de Formoso do Araguai (État du Tocantins) et pénètre parmi les maisons de l’agro-village où vit la majeure partie des colons, y trouve une maison en briques de terre, avec un toit de paille et un jardin fort bien soigné. On y a planté sur des parcelles contiguës, des arbres fruitiers ainsi que du manioc, du maïs, du haricot et de la calebasse [2].

Ce sont deux religieuses françaises de la Congrégation de la Divine Providence qui habitent dans cette maison un peu différente des autres. L’une a fêté ses 80 ans, et l’autre va bientôt avoir 77 ans. Ce sont les sœurs Madalena Hauser et Beatriz Kruch, connues comme Bia et Madá.

Le 20 décembre 2017, ce binôme a fêté 50 ans de présence active au Brésil, 50 ans de vie intense et d’engagement au milieu des pauvres, presque toujours des paysans. Elles ont plongé profondément dans leur histoire, dans leurs luttes pour conquérir de la terre, dans le partage de la terre conquise et de la vie quotidienne. Elles n’ont cessé de relever de nouveaux défis.

Le 22 décembre 1967, elles arrivaient à Goiânia où elles vécurent jusqu’en 1973 dans un quartier de la périphérie.

En 1972, Bia passa quelques mois à Santa Terezinha (Mato Grosso), dans la prélature de São Felix do Araguai. Comme infirmière, elle alla prodiguer des soins aux paysans restés cachés 105 jours dans la forêt pour échapper aux poursuites de la police, après avoir lutté pour défendre leurs terres contre la police militaire et les hommes de main de la CODEARA [3].

De retour à Goiânia, Bia et Madá tirèrent la conclusion que leur présence était plus nécessaire dans la région de la prélature de São Felix que dans la capitale.

En janvier 1973, elles partirent pour une nouvelle mission. C’était à Riberão Bonito, petit village au bord de la route BR 158 où elles allèrent s’installer. Trois kilomètres plus loin se trouvait Cascalheira. Elles participèrent à la première équipe pastorale permanente jusqu’à la fin de 1980.

Elle furent marquées par les premiers mois passés au cœur de cette réalité nouvelle. Les familles de paysans « posseiros » [4] de la région étaient soumises aux pressions les plus diverses de prétendus propriétaires pour leur faire abandonner les terres où elles travaillaient. Le principal commerçant du village était l’un de ceux qui se disait propriétaire d’une grande superficie de terre d’où il essayait d’expulser les « posseiros ». L’équipe pastorale soutenait et orientait les paysans au sujet de leurs droits.

Les sœurs n’étaient pas arrivées depuis 2 mois lorsque, le 13 mars, le commerçant arriva à la maison de l’équipe pastorale pour demander des comptes. Il trouva le Père Manoel Luzon assis sous le porche de la maison. Il l’agressa verbalement tandis que le prêtre tentait de lui expliquer calmement ce qu’il faisait auprès des paysans. Devenu furieux, le commerçant saisit le prêtre, le secoua et le fit tomber en arrière jusque dans la rue. Entendant les cris, Bia et Madá accoururent voir ce qui se passait et virent le prêtre tombé à terre. Instinctivement, Bia se positionna entre le prêtre et l’agresseur qui dégainait son revolver 38, et portait un grand couteau à sa ceinture. Bia dit à celui-ci avec fermeté : « Vous pouvez me tuer, mais ne tuez pas le père ! » Surpris par cette attitude, le fazendeiro s’en alla en rageant entre ses dents.

Cet événement a fait l’objet d’un rapport de l’équipe pastorale, que l’évêque Dom Pedro [Casaldáliga ] joignit à une dénonciation publiée le 19 mars.

À partir de janvier 1981, Bia et Madá décidèrent d’affronter un nouveau défi. Le Bico do Papagaio [5], tout au nord du Goiás, était à cette époque une région de grande tension et de conflits. C’est là qu’elles allèrent. Elles s’installèrent à Centro dos Mulatos [6], un petit village de la commune de São Sebastiao do Tocantins. Elles poursuivirent le même travail qu’elles avaient développé dans la prélature de São Felix, en lien étroit avec la CPT. C’était la région où travaillait le Père Josimo, qui coordonnait la CPT. Elles y ont été actives pendant 17 ans, jusqu’à la fin de 1997.

En décembre de 1997, elles décidèrent d’aller faire face à une autre réalité, cette fois dans la commune de Rio Sono, dans le village de Novo Horizonte. Pendant 10 ans, elles apportèrent leur soutien aux familles de petits paysans, posseiros, qu’elles accompagnèrent.

Finalement, en décembre 2007, elles partirent dans la commune de Formoso do Araguai, pour vivre dans l’établissement de Lagoa da Onça où elles partagent jusqu’à aujourd’hui la vie et l’histoire des familles paysannes qui y sont installées.

Le martyre a marqué leurs vies

En octobre 1976, elles étaient à Ribeirao Bonito lorsque le Père João Bosco Penido Burnier fut assassiné. Atteint d’un tir à la tête, le prêtre reçu les premiers secours de Bia qui raconte qu’elle essayait de contenir la substance encéphalique qui s’échappait par l’impact du tir.

Dix ans plus tard, à Centro dos Mulatos, elles furent impliquées dans les procès contre le Père Josimo [7]. Le 21 juin 1985, la Procureure de justice intima Josimo, Lourdes Goi, Béatriz Kurch, Madalena Hauser et Hermilo, pour qu’ils viennent apporter des éclaircissements sur leurs actions, dénoncées par les fazendeiros. Un député bahanais retransmit à la Chambre des Députés, à Brasilia, l’information des menaces de mort à leur encontre. En mai 1986, Josimo fut assassiné [8].

La Pastorale de la terre veut célébrer avec toute la CPT ces 50 ans consacrés à la cause des pauvres, à la cause du Royaume.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3493.
 Traduction de Stéphane Latarjet pour Dial.
 Source (portugais) : Pastoral da terra, n° 232, janvier-mars 2018.

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[1Lac du guépard – NdT.

[2Fruit à coque dure, en forme de gourde, utilisé pour conserver et transporter au frais de l’eau ou des céréales, quand on se déplace ou quand on va aux champs – NdT

[3Entreprise agro-industrielle qui s’appropriait par la violence de ses hommes de main les terres travaillées par des paysans installés depuis des générations mais dépourvus de titres de propriété, avec la connivence des notaires, de la justice et de la police pour réduire à néant toute résistance – NdT.

[4Les « posseiros » sont des familles paysannes installées depuis plusieurs années, et parfois plusieurs générations, sur des terres dont elles n’ont jamais pu obtenir de titre légal soit d’usufruitiers, soit d’usucapion, soit de propriété, pour diverses raisons : méconnaissance de leurs droits, absence de démarcation, absence de notaire, ressources insuffisantes pour payer les dépenses administratives, refus des autorités de leur octroyer leurs droits… – NdT.

[5Le Bec du perroquet – NdT.

[6Centre des métis – NdT.

[8Voir DIAL 1113 - « BRÉSIL - L’assassinat du P. Josimo Morais Tavares » et 1158 - « BRÉSIL - Les dernières paroles de Josimo » – note DIAL.

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