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DIAL 2645
AMÉRIQUE LATINE - Le témoignage de Gustavo Gutiérrez au Forum Social Mondial de Porto Alegre
Gustavo Gutiérrez
dimanche 1er juin 2003, mis en ligne par
Devant plusieurs milliers de personnes, au cours du Forum social mondial tenu à Porto Alegre au début de cette année, le P. Gustavo Gutiérrez a donné un témoignage sur le contexte historique et l’oeuvre accomplie au sein du courant de la théologie de la libération, dont il fut le pionnier. Il en indique les coordonnées majeures, toujours soucieux de l’impact actuel d’une réflexion dont les pauvres sont l’axe central.
En premier lieu, salut à tant de vieux amis et aussi aux nouveaux de ces jours-ci et à toute la réserve d’amis que je ne connais pas encore.
Je voudrais dire en premier lieu qu’un témoignage n’est pas quelque chose de purement personnel ou individuel. En tout cas, les choses les plus intenses que j’ai vécues, je les ai toujours vécues avec d’autres personnes, naturellement avec mon entourage immédiat dans mon pays, au Pérou, mais aussi avec beaucoup d’amis d’Amérique latine. En conséquence, quand je ferai allusion à des moments personnels, j’aimerais bien mettre l’accent sur une certaine – appelons-la ainsi – aventure collective menée avec beaucoup d’amis qui ont enrichi ma vie et avec lesquels nous avons essayé de faire ensemble quelque chose. Je crois que parler de groupe d’amis, c’est nous rappeler notre dimension sociale, et j’aimerais la prendre beaucoup en compte dans ces quelques réflexions que je vais présenter.
Cette dimension sociale nous fait donc vivre dans des processus sociaux et historiques et cela est pour moi très important depuis le début. La réflexion sur la foi que nous avons essayée de faire en Amérique latine et qui, comme vous le savez, est très liée à la vie de tous les jours, je crois qu’elle vient vraiment de ces processus sociaux et historiques. Durant mes années d’études universitaires, j’étudiais la médecine, j’ai beaucoup participé à la vie politique universitaire et avec une certaine militance chrétienne, et tout ceci m’a fait ressentir en un moment donné que la réflexion sur la foi était importante, sur la foi, sur ma propre vie et ma pratique. C’est ce que je voudrais partager avec vous.
Ce que nous appelons théologie, et qui est une parole sur Dieu, part historiquement de la vie quotidienne, de la pratique historique des chrétiens et des non-chrétiens. C’est dans la vie quotidienne qu’en premier lieu on reçoit les questions et les défis qui interrogent la portée et le sens de la foi chrétienne. La réflexion vient donc après. C’est le fameux : « d’abord vivre, ensuite penser » ou philosopher, selon l’expression classique. Seuls ceux qui sont insérés dans la pratique peuvent penser et réfléchir théologiquement ; la théologie se situe à l’intersection de la foi chrétienne avec la pensée, la culture, des sentiments, des attitudes des personnes à un moment historique déterminé.
En troisième lieu, la théologie doit toujours être une herméneutique de l’espérance, c’est-à-dire une interprétation de la raison, des raisons que nous avons d’espérer quelque chose de différent de ce que nous vivons aujourd’hui. Permettez-moi de rappeler ces trois moments : la vie quotidienne, la pratique, le point de départ historique ; la réflexion, ce point de rencontre entre le message chrétien et la façon de comprendre notre moment de l’histoire ; et la théologie comme herméneutique de l’espérance. Ces trois moments sont les trois parties de cette réflexion.
Le point de départ : la pratique
Commençons donc par ce point de départ historique qui nous renvoie à la réalité que vivent les personnes, les croyants et ceux qui ne le sont pas et avec lesquels nous partageons cette réalité. Partir de la vie, cela pose une question : « comment parler de Dieu ? ». Quand je dis parler, je ne me réfère pas seulement à des paroles, je me réfère à des gestes et à des paroles. C’est un langage – pour le dire de façon meilleure – qui comprend non seulement le monde conceptuel, ni même les seuls termes que nous utilisons, mais qui comprend aussi ce monde qui est fait de gestes, d’attitudes, d’engagements, de solidarité ; tout cela ensemble constitue le langage. En Amérique latine comme aussi en d’autres parties du monde, cette question peut se formuler de cette manière : « comment dire au pauvre, à l’exclu, à l’insignifiant, au marginalisé, que Dieu l’aime ? » Le contenu fondamental du message chrétien est l’amour de Dieu, la question est extrêmement aiguë : comment dire à celui dont la vie quotidienne est en bonne partie la négation de l’amour, comment lui dire que Dieu l’aime ? C’est le point de départ de la réflexion théologique sur la foi que nous avons essayée de faire en Amérique latine. Et de plus, cela nous pose la question – qui est une conséquence de l’interrogation antérieure - : comment dire à ceux qui mangent tous les jours, à ceux qui ont un toit et du travail, à ceux qui ont les moyens de faire respecter leurs droits humains et les moyens de maintenir leurs privilèges, que le Dieu d’Abraham, de Moïse, de Jésus est un Dieu qui prend parti pour les derniers de l’histoire et que la vie menée par ces personnes n’est pas humaine tant que la majorité de l’humanité n’a - comme le dit un poète péruvien, César Vallejo – pour attester de sa vie que sa mort. Comment dire ces deux choses ? Bien plus : comment s’adresser à ces deux grands secteurs de l’humanité ? Aux pauvres dont la vie quotidienne est une négation de l’amour, dire que Dieu les aime, et à ceux qui ont d’autres conditions de vie, leur dire que cet amour de Dieu a une préférence, une priorité pour les derniers de l’histoire. Non seulement c’est difficile, mais c’est conflictuel de tenter de parler ainsi.
Dans les années 50-60, nous commençons à vivre, en Amérique latine, un phénomène historique qui continue, il est bon de nous en rappeler, non sans des hauts et des bas naturellement, c’est-à-dire non sans des avancées et des reculs ; nous commençons à vivre un phénomène historique que nous pouvons appeler une nouvelle présence des pauvres sur la scène de l’histoire, sur la scène sociale et politique, sur la scène de la pensée et de la réflexion. Les pauvres qui ont toujours été les absents de l’histoire - en réalité, absents de l’histoire écrite, l’historiographie, parce qu’ils étaient dans l’histoire -, ceux qui ne sont pas pris en compte, ces anonymes de l’histoire, ont commencé à manifester leur présence. C’est au cours de ces années que sont nées des expressions que nous utilisons aujourd’hui, comme par exemple l’expression sous-développement ou celle de Tiers-monde pour désigner ces peuples réunis en Indonésie au milieu des années 50, pour les distinguer de ceux qu’on appelle le Premier monde, le monde capitaliste.
À cette époque, en Afrique aussi, les nouvelles nations commencent à s’organiser et apparaissent sur la scène. En Amérique latine, les organisations populaires sont de plus en plus actives et se font remarquer. Il est fort probable que pour beaucoup de ceux qui sont ici, cela leur apparaisse comme un phénomène plus ou moins normal ; pour ceux qui ont accumulé deux ou trois jeunesses, comme c’est mon cas, je peux leur dire qu’il n’en était pas ainsi au cours de ma première jeunesse. Purement et simplement, bien qu’il y ait eu des organisations syndicales, aussi bien ouvrières que paysannes, que populaires, nous n’avions pas ce que nous commençons à avoir - non sans problèmes et non sans répressions - sur le continent. J’ai dit qu’il s’agissait d’un processus qui a commencé à cette époque, peut-être un petit peu plus tôt, et qui a continué, ce qui fait que les thèmes autour de la pauvreté et de la marginalisation sont des thèmes aussi importants aujourd’hui.
Bien sûr, je sais que cela n’a pas suffi à changer la situation, mais de toute façon ces secteurs sociaux ont commencé à se faire entendre et aussi à faire sentir leur présence, et ceci me paraît quelque chose d’extrêmement important. Ceci nous a fait voir que ce monde de la pauvreté, de l’exclusion et de la marginalisation, était beaucoup plus qu’un problème d’ordre économique et social, c’était une question humaine globale, avec ses différentes arêtes, avec ses différentes dimensions, et qui par conséquent représente un défi pour la conscience humaine et la conscience chrétienne. Quand je dis que c’est plus qu’un problème économique et social, je vous demande de prendre en compte le plus ; ou, autrement dit, c’est bien évidemment un fait d’ordre économique et social, culturel, etc., mais c’est beaucoup plus que cela.
La pauvreté ne se réduit pas à l’aspect économique, - capital à coup sûr -, extrêmement important. Et c’est pourquoi, au cours de la réflexion faite les années antérieures, nous avons commencé à parler du pauvre comme de quelqu’un de socialement insignifiant – entre guillemets, c’est clair - et une personne peut être insignifiante pour des raisons économiques, parce qu’elle n’a pas un centime en poche ; pour des raisons d’ordre culturel, racial et de genre. À ces niveaux, une personne peut être insignifiante, et c’est sûr, la chose est encore beaucoup plus profonde et grave si ces différentes dimensions sont cumulées. Pour dire ce qui a constitué le grand impact de cette nouvelle présence, la pauvreté signifie la mort, en dernière instance ; mort prématurée, mort injuste. La mort injuste et prématurée est ce qui caractérise fondamentalement la pauvreté et les aspects d’ordre social – je le répète – sont essentiels, mais aussi les aspects culturels, le sexe des personnes, la question raciale – et il ne nous plaît pas à nous les Latino-Américains que nous parlions de racisme parce que nous considérons que nous n’avons pas de lois racistes. Et pourquoi avoir des lois racistes si nous avons des habitudes racistes ? Cela est suffisant.
Théologie et histoire
Ce qui a également changé la perspective à cette époque et qui continue de la changer aujourd’hui, c’est que la pauvreté n’est pas une fatalité, c’est une construction humaine ; ce n’est pas un destin, c’est une condition et les conditions peuvent changer ; ce n’est pas le fruit du hasard, c’est une injustice. La conscience du pauvre a donc réellement changé au cours de ces décennies. Les experts parlent de causes de la pauvreté, mais le peuple pauvre a chaque jour pris davantage conscience de cela. Il s’agit d’une condition créée grâce à des notions, des catégories culturelles, des structures d’ordre économique et social, et cela a commencé à faire changer la perception du pauvre. De même, ce que j’ai appelé l’irruption du pauvre, cette nouvelle présence a aussi entraîné quelque chose de très important, qui de toute manière est présent, c’est que la pauvreté concerne des personnes. Et ces pauvres sont appelés à être les maîtres de leur destin, les sujets de leur histoire, à prendre en main les rennes de leur destin. Il y a une phrase dont je sais que certains la disent avec beaucoup de bonne volonté, c’est être « la voix des sans-voix ». Bien, je ne me sens pas appelé à être la voix des sans-voix, ce qui m’importe est que les sans-voix prennent la parole. C’est quelque chose de très différent et cela vient précisément de cette nouvelle présence. Ce processus , dont je viens de rappeler les premiers pas, est toujours présent, nous n’avons pas fini de nous rendre compte que la pauvreté est un défi à la conscience humaine et chrétienne. Nous sommes sur le terrain de l’inhumain et pour autant le premier droit humain, c’est le droit à la vie. C’est le droit fondamental. Nous devons réaliser que lorsque nous parlons de pauvreté, nous parlons également de ses causes et de construction humaine et pour autant de la possibilité de déconstruire ces causes.
L’attention au pauvre, la solidarité avec le pauvre ne peut pas se limiter seulement à l’aide aux personnes qui souffrent de la pauvreté. Honnêtement, je crois que cela continue d’être important, mais si cela n’est pas accompagné du refus de ce qui la provoque, ce n’est pas une solidarité authentique ; bien plus, je dirais que si nous nous limitons à l’aide immédiate aux pauvres – je pense au monde religieux, et pas seulement chrétien – nous aurons du travail, parce que les mécanismes qui la produisent ne seront pas affectés. Et là, je voudrais poser une autre question, inspirée d’un texte biblique : « Où dormiront les pauvres dans le monde que nous construisons de nos jours ? » Une question aussi simple que celle-ci ou qui pourrait être : « Que vont manger les pauvres dans le monde d’aujourd’hui ? ».
Au point où j’en suis, je voudrais aussi rappeler quelques faits : nous sommes dans un forum qui a comme l’une de ses perspectives centrales ce que nous appelons la mondialisation. La mondialisation – pour la situer comme point de réflexion – est une expression trompeuse. Elle donne l’impression que nous allons vers un monde unique alors qu’en réalité, nous réalisons de plus en plus qu’on va vers deux mondes. La brèche entre les personnes et les pays riches et entre les personnes et les pays pauvres s’agrandit. Cette brèche est énorme. Quelle mondialisation voulons-nous ? Mais pas seulement cela, je crois aussi que dans ce monde globalisé dans lequel des courants comme le néolibéralisme économique a une présence aussi grande, il y a aussi, idéologiquement, un monde qui se traduit dans des expressions qui prétendent dire que l’étape que nous vivons est absolument nouvelle, rien de ce qui s’est fait antérieurement ne vaut la peine aujourd’hui. On dit que cette époque est post-moderne, post-capitaliste, post-industrielle, post-coloniale, post-socialiste ; et les gens sont ravis d’être "post" ces derniers temps. Tout serait nouveau, tellement nouveau qu’il faudrait effacer absolument ce qui s’est fait dans les temps antérieurs. Or nous savons fort bien que la meilleure manière de poser des limites à un peuple est d’effacer sa mémoire. C’est ce que fit un vice-roi très important du Pérou au XVIème siècle : il a tenté d’effacer la mémoire des Incas pour pouvoir mieux dominer. C’est typique. Toujours, le dominateur a tenté d’effacer la mémoire. Mais, dans les dernières décennies, il y a eut un très grand effort de la part des pauvres d’Amérique latine, par des moyens très variés, pour revendiquer leur identité humaine. Pour le dire simplement, comme l’exprimait un manifeste de 1969 des Noirs des États-Unis : « nous existons », c’est-à-dire que nous sommes ici, nous sommes présents.
Il ne s’agit pas de fermer les yeux face aux réalités nouvelles, mais il faut être en même temps très clair face au martèlement idéologique qui consiste à faire croire que les choses sont absolument nouvelles dans le monde contemporain.
La théologie est une herméneutique de l’espérance
Et ceci me conduit à la troisième partie. Je disais qu’une théologie doit être aussi une herméneutique de l’espérance et ceci me permet d’introduire une précision à quelque chose que j’ai affirmé il y a un instant. Je crois qu’il faut partir de la dure situation, de la souffrance et de cette espèce d’insignifiance sociale qui constitue le noyau de la pauvreté ; mais pas seulement cela. Mais il faut partir aussi des espérances de ce secteur. Les souffrances ont très fortement marqué la théologie que nous avons faite en Amérique latine, mais il faut voir quelque chose de plus. Permettez-moi de me référer à une question bien personnelle : lorsque j’essayais de travailler ces thèmes de la théologie de la libération, j’écrivais quelque chose à ce sujet et il me parut indispensable de venir au Brésil. Je fus ici en mai 1969, c’est-à-dire peu de mois après l’Acte institutionnel numéro 5 du 13 décembre. Un temps terrible, comme beaucoup d’entre vous s’en souviennent. De nombreux amis brésiliens, des militants chrétiens, des membres de communautés de base me conseillèrent d’utiliser ma mémoire et non pas d’écrire les numéros de téléphone des personnes que je devais appeler. Je suis allé dans quatre villes : à Rio, São Paulo, Bello Horizonte et Recife. A Recife, j’étais avec Henrique Pereyra Neto, un des premiers prêtres assassinés en Amérique latine. Il a été assassiné une semaine après que j’ai quitté le brésil. C’est pour cela que j’ai dédicacé le livre sur la théologie de la libération que je travaillais à l’époque, à cet ami, comme je le dédicaçais aussi à un écrivain péruvien indien, José María Arguedas et sincèrement j’ai essayé de le faire symboliquement. Je voulais le dédicacer à un Noir comme Henrique et à un Indien comme Arguedas, ce qui était le dédicacer aux derniers de la société latino-américaine.
J’ai pu voir les souffrances, j’ai pu entendre les récits de ces moments qui se vivaient Brésil. Mais je pus en même temps écouter aussi les espérances, parce que l’espérance est quelque chose qui apparaît parfois au milieu de la souffrance, non seulement quand les choses vont bien. Je dirais que lorsque les choses vont très bien, les gens parlent moins d’espérance et quand je parle d’herméneutique de l’espérance, je voudrais prendre en compte aussi bien les souffrances, les mauvais moments que l’espérance dont beaucoup de personnes font preuve. Je disais en commençant que parler de la théologie comme herméneutique de l’espérance signifiait rechercher les raisons d’espérer. Et naturellement, il y a une raison fondamentale pour un croyant, la confiance en Dieu. Mais il faut enrichir cela avec notre vie quotidienne et avec les processus historiques. Mettre cela en rapport, c’est aussi faire de la théologie. Mais nous sommes aussi aujourd’hui dans une situation extrêmement compliquée, où l’on trouve une critique très forte à l’égard de tout ce qui serait projets et utopies.
Un écrivain péruvien, José Carlos Mariategui, a écrit dans un article dans lequel il disait : « Beaucoup de personnes, et moi aussi, sommes fatigués de parler de conservateurs et de progressistes, je propose donc de changer
la nomenclature, le vocabulaire, et d’appeler les progressistes des personnes qui ont de l’imagination, et les conservateurs des gens sans imagination . » Et il ajoutait à la fin de son article : « Mais je suis sûr qu’on ne va pas accepter ma nouvelle nomenclature par manque d’imagination. » Et je pense qu’il en est bien ainsi dans la réalité. L’imagination est le monde ou l’espace mental où nous nous projetons. Et aujourd’hui, il existe quelque chose de très fort à cet égard : toute volonté de lutte pour la justice, tout désir de s’opposer à l’oppression et au mauvais traitement du pauvre, avec la complexité et la multidimensionnalité mentionnée il y a un instant, ont été vus comme quelque chose d’utopique au sens péjoratif du terme. Avec votre permission, je citerai un autre poète, cette fois un Espagnol, qui a dit quelque chose de très beau : « A veces, los sueños se desensueñan y se hacen realidad. » [1]. Et je pense que c’est ce qui est en train de se passer aujourd’hui au Brésil. Ce sont des rêves qui cessent d’être rêvés et qui deviennent des réalités. Mais les réalités supposent qu’il y ait construction, qu’il y ait travail. Il y a peu, quelques minutes avant de commencer cette présentation, un vieil ami que je n’avais pas vu depuis des années m’a offert un livre sur le Chiapas, dont le titre est Construire l’espérance. C’est vrai : l’espérance, le projet, l’utopie, il faut les construire. Parce que l’avenir ne vient pas tout seul. Le futur est dans nos mains.
Je voudrais terminer en rappelant un texte de l’Évangile qui a toujours appelé mon attention : « Que ta lumière ne se change pas en ténèbres. » Mais il n’y a pas de façon dont la lumière se change en ténèbres. On peut l’éteindre, mais la lumière ne peut pas se transformer en obscurité. Mais, ultérieurement, voyant certains processus politiques et sociaux, j’ai trouvé un sens dont je ne sais pas s’il est le vrai, mais je veux le partager avec vous. La lumière de gens qui estiment voir clairement à un moment donné peut se convertir en obscurité pour une masse pauvre. Nous qui sommes ici nous nous mouvons d’une manière ou d’une autre, partiellement au moins, dans le monde des idées, des concepts, dans le monde intellectuel et cela peut être obscurité pour beaucoup. Je pense qu’en Amérique latine nous avons eu et nous continuons d’avoir d’excellentes études sur la réalité, qui éclairent le continent. Mais sont-elles réellement lumière ou obscurité pour ceux qui subissent les situations que nous étudions ? Certainement, une étude est toujours de la lumière, mais derrière cette étude il y a des personnes concrètes qui souffrent de la faim, marginalisation, violence.
Ce sont des enfants, des femmes, des personnes marginalisées en raison de la couleur de leur peau, de leur race, de leur culture, etc. Il me parait donc fort important d’essayer d’éviter une chose de ce genre.
Finalement, j’aimerais ajouter une petite anecdote. On m’a posé quelques fois cette question : « Si vous deviez écrire à nouveau la théologie de la libération, écririez-vous ce livre tel que vous l’avez fait il y a plusieurs années ? » Bien, je répondais : « Non ». « Ah ! Donc, vous vous rétractez. » « Eh bien non, pas davantage. » Comme cette réponse ne me satisfaisait pas, je répondais ainsi à la même question en d’autres occasions : « Oui ». « Ah, entêté, vous n’avez rien appris. » Ce n’était pas non plus une bonne réponse. Jusqu’à ce qu’un jour je trouve la façon de répondre. Je dis à un journaliste : « Voyons, mon ami, vous êtes marié ? ». Surprise de sa part puisqu’il ne voyait pas la relation entre son mariage et la théologie de la libération, et il me dit : « Oui » « Depuis combien de temps êtes-vous marié ? » Disons qu’il m’a répondu depuis 15 ou 20 ans. « Vous aimez votre épouse ? » Le gars qui commençait à se sentir gêné me répondit : « Oui, bien sûr. » Je lui demandais alors : « Seriez-vous capable d’écrire une lettre d’amour à votre épouse dans les mêmes termes qu’il y a 20 ans ? » « Non ». « Eh bien, moi non plus ».
Pour moi, faire de la théologie, c’est écrire une lettre d’amour au Dieu auquel je crois et au peuple auquel j’appartiens, et c’est pour cela que je me permets de dire que les choses que j’ai essayé de rappeler restent vivantes et présentes parmi nous, avec, il est vrai, des changements considérables. Il me semble qu’aujourd’hui nous rencontrons quelque scepticisme chez certaines personnes qui disent : « Tu sais, moi j’en suis revenu de ces illusions. » Ce qui m’impressionne le plus, ce sont ceux qui font le voyage retour sans jamais avoir fait l’aller. Ceux-là me surprennent vraiment.
Bien, il ne me reste plus qu’à vous remercier de votre présence et à vous remercier surtout de votre amitié.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2645.
– Traduction Dial.
En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.
[1] Littéralement : « Parfois les rêves se dérêvent pour devenir réalité ».