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DIAL 2631

MEXIQUE - Le droit à l’alimentation : le cas du maïs

mardi 1er avril 2003, mis en ligne par Dial

Les mouvements paysans du Mexique souhaitent obtenir une révision de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain), traité qui lie ce pays avec les États-Unis et le Canada. Ils estiment qu’il leur a gravement porté atteinte en raison des importations massives au Mexique du maïs produit aux États-Unis. Ces importations ont ruiné plusieurs milliers de petits producteurs mexicains. Le processus en en est clairement présenté dans cet extrait d’un rapport de Diana Bronson et Lucia Lamarche, Derechos humanos y comercio en las Americas, de mars 2001,reproduit dans le rapport annuel de Provea (Venezuela), octobre 2001-septembre 2002.


Le droit à l’alimentation est consacré par l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [1] qui reconnaît le droit fondamental de toute personne à être protégée contre la faim et qui fait explicitement appel à la coopération internationale : « …Assurer une répartition équitable des ressources alimentaires mondiales par rapport aux besoins ». Dans l’Observation générale n° 12 sur le droit à l’alimentation, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels indique que les États doivent, autant que possible, s’assurer que les accords internationaux donnent la place voulue au droit à l’alimentation, et que l’on y étudie de nouveaux instruments juridiques internationaux à cette fin.

Asjborn Eid, ex-rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation et à la protection contre la faim, a expliqué que la viabilité de la production alimentaire mondiale pourrait bien dépendre du renforcement des droits des petits agriculteurs. La sécurité et l’autosuffisance alimentaires, le rôle et la réglementation de l’agro-industrie, l’utilisation de produits transgéniques et l’octroi de subvention sont autant d’éléments très controversés du débat sur le commerce de produits agricoles. Des défenseurs des intérêts des pays en voie de développement démontrent depuis des années que l’ouverture des échanges commerciaux les met en situation de faiblesse et renforce la position des acteurs économiques les plus puissants, c’est-à-dire des entreprises transnationales qui ont leur siège dans les pays industrialisés. Dans le secteur agricole, ce phénomène a des répercussions directes sur la sécurité alimentaire, le droit humain à une alimentation et les droits des producteurs agricoles. L’expérience vécue par les producteurs de maïs mexicains depuis l’adoption de l’ALENA (accord de libre-échange nord-américain) ressemble beaucoup à celle des petits agriculteurs de nombreux autres pays développés ou en voie de développement.

Au terme d’un long débat, il a été convenu d’inclure la libéralisation du secteur agricole aux dispositions de l’ALENA. Mais, compte tenu de la grave menace que l’agro-industrie nord-américaine représentait pour la production mexicaine de maïs, comparativement petite, un délai de quinze ans a été prévu pour réduire progressivement les droits de douane et pour faciliter l’adaptation. En 1994, pour diverses raisons liées au sauvetage de la monnaie mexicaine, le gouvernement de ce pays a choisi de renoncer à ces mesures et d’autoriser l’importation de maïs nord-américain en franchise et à grande échelle, ce qui a provoqué l’effondrement du prix de cette céréale sur le marché intérieur et laissé au bord de la ruine de nombreux producteurs. Il convient de rappeler que, au Mexique, le maïs est l’un des éléments de base de l’alimentation. On y cultive en effet d’innombrables variétés de maïs et le pays passe pour être un centre névralgique mondial de la diversité génétique. Dans beaucoup de régions, les dépositaires de cette grande diversité sont traditionnellement les peuples indigènes, qui utilisent un très ancien système de production durable qui est fondé sur des méthodes complexes de gestion des ressources et qui intègre une connaissance approfondie des propriétés du sol et des caractéristiques génétiques des différentes variétés. A elle seule, la culture de maïs blanc représente 63 % de la production agricole du Mexique et occupe entre deux millions et demi et trois millions de paysans. En ce qui a trait aux familles concernées, on constate que près de dix-huit millions de Mexicains, qui travaillent sur un terrain communautaire (ejido) dans leur grande majorité, dépendent directement de la production de maïs pour leur subsistance.

Un vaste consensus se dégage actuellement au sein de la société mexicaine, selon lequel l’ALENA a largement contribué, parmi un ensemble de politiques économiques, à la stagnation de la production de maïs après 1994. L’importation à grande échelle de produits agricoles nord-américains subventionnés a entraîné la contraction de la récolte de maïs au Mexique, à tel point que de nombreux petits agriculteurs ont perdu leur source de travail et sont devenus une main-d’œuvre migrante ou simplement au chômage. En conséquence, le tissu social qui s’est créé autour de l’ejido traditionnel est menacé, ce qui pourrait en outre donner naissance à des formes d’agriculture moins durables à mesure que des producteurs appauvris décideront de se consacrer à des cultures commerciales d’exportation (fleurs fraîches, fruits, légumes). Pour beaucoup de paysans indigènes pratiquant la culture de subsistance, ce phénomène a représenté la perte d’un mode de vie qui inclut des formes de travail collectives, y compris avec des parents proches ou éloignés. Par ailleurs, les importations massives de maïs nord-américain n’ont fait qu’aggraver le déficit commercial du Mexique à l’égard des États-Unis.

La libéralisation du commerce et le développement des exportations ont tendance à favoriser l’agro-industrie et à faire disparaître des programmes de gestion de l’offre qui privilégiaient le petit agriculteur et l’autosuffisance alimentaire. Le secteur de la pêche fait apparaître une tendance semblable. Comme l’a expliqué l’Union nationale des producteurs agricoles du Canada, ce pays a sacrifié, dans sa volonté d’améliorer l’accès aux marchés étrangers, non seulement l’intérêt de ses petits producteurs agricoles, mais aussi les politiques et organismes gouvernementaux qui les protégeaient. Dans le cas du Mexique, les répercussions de la libéralisation du commerce sur la sécurité alimentaire sont énormes. Selon des chiffres officiels du gouvernement mexicain, 158 000 enfants de moins de cinq ans meurent chaque année d’une maladie imputable à la malnutrition, ce qui met le Mexique, pays membre de l’OCDE, au même rang que des pays de l’Afrique subsaharienne dont le revenu par habitant est égal à 10 % de celui du Mexique. Entre janvier 1995 et juin 1996, la consommation de produits de base (maïs, haricots et blé) a baissé de 29 %, ce qui signifie que, pour beaucoup de Mexicains, la consommation quotidienne de calories est inférieure à la quantité recommandée par l’Organisation mondiale de la santé. Il n’a pas été davantage question du commerce du maïs dans l’étude des racines de la crise économique qui a frappé le Mexique au milieu des années quatre-vingt-dix que dans la recherche d’une solution. Lorsque, en novembre 1996, les petits agriculteurs de l’État du Chiapas ont décidé de protester contre l’importation massive de maïs nord-américain, trois d’entre eux ont payé de leur vie une telle audace.
L’alimentation fait partie des droits fondamentaux. Il n’est pas facile de montrer en quoi la libéralisation du commerce constitue une menace pour ce droit, y compris dans des cas comme celui du maïs mexicain où les effets négatifs de ce phénomène sont pourtant visibles. Il ne fait cependant aucun doute qu’une dépendance excessive à l’égard de produits importés nuit à la sécurité alimentaire d’un pays, comme cela s’est passé dans le Sud-Est asiatique après la crise économique des années quatre-vingt-dix. En réaction aux retombées désastreuses de l’ALENA sur la production intérieure, de nombreuses organisations mexicaines exigent une renégociation du traité pour que l’on en exclue la production et la distribution d’aliments de base et pour que le droit à l’alimentation soit consacré dans la Constitution du pays.

Lors du Sommet mondial de l’alimentation tenu à Rome en 1996, l’attention du monde entier s’est concentrée momentanément sur ce constat absurde que, sur la planète, 800 millions de personnes n’ont pas accès à des aliments de base pour des raisons qui ne sont pas liées à la production mais simplement à une mauvaise distribution. Il est essentiel que les systèmes régionaux et internationaux du commerce mondial fassent partie de la solution à trouver et ne soient plus à l’origine du problème à régler. De nombreuses organisations internationales se penchent actuellement sur la question du droit à l’alimentation, parmi elles la FAO, l’UNICEF, l’Organisation mondiale de la santé et le Programme alimentaire mondial, à tel point que le monde entier a applaudi l’initiative des ONG pour l’élaboration d’un Code d’éthique sur le droit à l’ alimentation. Malheureusement, l’OMC et les institutions régionales continuent de travailler en marge de ces initiatives, souvent au mépris de l’aptitude des États à mettre sur pied des politiques agricoles qui privilégient la préservation de l’environnement, ainsi que la reconnaissance et le respect des droits du petit agriculteur et du droit à l’alimentation.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2631.
 Traduction Dial.

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[1Approuvé par l’Assemblée générale des Nations unies en 1966.

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