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DIAL 2626
AMÉRIQUE LATINE - La crise du café et le “commerce soutenable”
Oscar Gutiérrez
dimanche 16 mars 2003, mis en ligne par
La crise du café affecte des centaines de miliers de petits producteurs en Amérique latine, notamment en Amérique centrale. Comment expliquer une telle situation et quelles mesures pourraient permettre d’y remédier ? Article de Oscar Gutiérrez, ADITAL (Agence d’information Frei Tito pour l’Amérique latine), Brésil, 14 février 2003.
Une tasse de café dans un quelconque quartier de New York ou de Paris peut atteindre le prix de 3,60 dollars. Pour cette même tasse de café, un cultivateur de la région andine sud-américaine ou du Sud-Est asiatique perçoit seulement 0, 24 dollar, un mesquin 7 % qui, évidemment, ne couvre pas le coût de production ni les besoins de base des petits producteurs. Ce sont les conséquences les plus directes d’une crise qui dans les deux dernières années a soumis à la pauvreté plus de 25 millions de personnes sans que, pour autant, le commerce du café des quatre plus grandes entreprises transnationales (Nestlé, Kraft Foods, Procter & Gamble et Sara Lee) mettent un terme à leur croissance économique.
Comment explique-t-on que, malgré la chute des prix, les compagnies continuent à maintenir leurs bénéfices dans le commerce du café ? La formule paraît simple : alors que la production et l’indice des prix sont restés stables à l’ombre de l’Organisation international du café (OIC) et de l’appui des Etats-Unis grâce à la politique commerciale des quotas d’importation et de restriction à la production, le prix de la livre de café a dépassé les 2,40 dollars en Colombie, deuxième exportateur de café, juste après le Brésil. Ce « Pacte mondial du café » a été rompu en 1989 avec la sortie des États-Unis de l’OIC. L’impulsion donnée par la Banque mondiale à la libre exploitation des cultures en Asie a inondé le marché d’un café de mauvaise qualité jusqu’à réduire son prix de plus de 50 % et à surpasser en quantité la demande des consommateurs.
La réponse des entreprises transnationales face à la chute des prix sur le marché international a été de consentir à une surproduction indiscriminée qui, cependant, compense la diminution de la demande par une réduction de la part qui revient aux petits agriculteurs.
Le Vietnam a relégué la Colombie à la troisième place des exportations avec un prix se situant entre 0, 25 et 0, 30 dollar la livre. A côté du Vietnam, considéré comme la cause principale de la chute des prix, d’autres pays comme l’Indonésie, l’Inde, le Laos, l’Angola et le Brésil ont saturé le marché avec la variété robusta, un café de basse qualité et de moindre prix qui prive les consommateurs de la variété traditionnelle arabica cultivée par les anciens « seigneurs du café » des années 50 et 70 : Honduras, Guatemala et El Salvador, avec les autres pays centraméricains ainsi que la Colombie et le Mexique.
C’est justement la région centraméricaine qui subit davantage la crise du café avec un chômage qui affecte directement ou indirectement plus de 1,5 million de personnes. Presque la moitié de la population adonnée aux plantations de café au Guatemala a dû changer de travail ou déménager en ville ; alors qu’en El Salvador, où l’indice de malnutrition enfantine sur le territoire national est de 23 %, la crise du café a doublé ce chiffre dans les régions consacrées à la récolte du grain.
Plus au nord, dans les États mexicains d’Oaxaca et du Chiapas, le chômage des travailleurs du café, plus une politique agricole mauvaise, a conduit ceux-ci a risquer la mort en essayant de traverser de façon irrégulière la frontière avec les États-Unis. Cependant, en Colombie, la crise du café, loin de conduire à l’abandon de terres cultivables comme cela s’est produit au Vietnam ou en Inde, fait que l’on remplace le grain de café avec la feuille de coca. Le commerce d’un des meilleurs arômes du monde a été détrôné par les exportations de pétrole et d’acier.
Il semble évident qu’une des solutions à la crise du café passe par la limitation de la production jusqu’à ce que montent les prix sur le marché international. Ceci, ce serait la théorie dans le contexte d’une économie de marché. Dans la pratique, l’OIC l’a déjà tenté l’année passée et a reçu une réponse négative de la part des pays asiatiques et du Brésil. Dans tous les cas, il n’est pas très cohérent d’attendre que des régions aussi dévastées qu’El Salvador brûlent leurs récoltes de café pour faire monter le prix des exportations. L’OIC n’est pas l’OPEP, et la production de café ne dépend pas seulement de l’ouverture ou de la fermeture de vannes comme pour le pétrole.
Les alternatives à la crise du café se trouvent dans ce que certaines ONG ont appelé le « commerce soutenable ». Si la production de pays comme le Vietnam a augmenté de 400 % au cours de la dernière décennie c’est parce qu’on a fait le pari, pour la culture du café, de l’apport de nouvelles technologies. En même temps on a fait l’impasse sur l’environnement en cultivant dans de grandes propriétés dépourvues d’ombrage, où les rayons de soleil accélèrent l’effet des produits chimiques et entraînent l’érosion de la terre, facilitant ainsi les inondations. Le café produit de manière « soutenable » grandit dans des exploitations traditionnelles à l’ombre, il a besoin de davantage de maturation (café gourmet), il est propice à la vie des plantes et des animaux et réduit l’impact sur l’environnement.
C’est un pari pour une culture organique et diversifiée du café, un café de qualité associé à un développement durable et à un commerce juste, sans intermédiaires, qui améliore le prix payé aux agriculteurs et diminue l’offre, avec une nouvelle restructuration de la campagne. Une idée qui est loin de pouvoir se réaliser en raison de l’absence de liquidités chez le cultivateur et des obstacles à l’exportation de l’agriculture latino-américaine.
La seule alternative pour l’agriculteur, actuellement, est de mettre son café sur le marché parce qu’il n’a rien d’autre à vendre. Pour le moment, l’avenir dépend du travail de l’UNCTAD (Conférence de Nations Unies pour le commerce et le développement), des avancées de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) pour la réforme du commerce des produits agricoles, du rôle de grandes entreprises transnationales et, surtout, de l’attitude des consommateurs pour un commerce juste et soutenable.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2626.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : ADITAL (Agence d’information Frei Tito pour l’Amérique latine), Brésil, 14 février 2003.
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