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DIAL 2910

PÉROU - Les peuples indigènes se mobilisent

Luis Llontop S.

jeudi 1er février 2007, mis en ligne par Dial

Le choc entre peuples autochtones occupant des terres depuis des siècles et les compagnies, transnationales ou non, exploitant les richesses naturelles de leurs terrains est une réalité récurrente en Amérique latine, que ce soit en Amazonie brésilienne ou péruvienne, sur les terres mapuche au Chili, ou en Équateur. Ce texte publié à l’origine dans la revue péruvienne Signos est symptomatique de la dynamique actuelle : les peuples indigènes ont cessé de subir ce que d’autres leur imposaient et repris l’initiative, que ce soit localement comme ici, ou à plus grande échelle, comme en Bolivie ou en Équateur.


Au matin du 10 octobre, le blocus des lots pétroliers 1AB et 8, exploités par l’entreprise Pluspetrol, a braqué les projecteurs sur les communautés Achuar du bassin du fleuve Corrientes (région de Loreto). C’était malheureusement le seul moyen pour elles d’attirer l’attention d’un gouvernement distant et indifférent qui les a toujours tenues à l’écart. Il fallait que cela cesse. Las de voir fleuves, terres et animaux détruits par la pollution, le peuple Achuar a lancé une action qui a eu un grand retentissement dans le pays. Bien que connu pour être un peuple aguerri, les Achuar ont agi sans violence. Grâce au soutien de différentes institutions, et notamment de la Defensoría del Pueblo [1], un accord, signé le 22 octobre, a pu être trouvé. Espérons que cela apporte quelque réparation à près de 40 ans de violations commises envers ces personnes et leur environnement.

Qui sont les Achuar ?

Les Achuar appartiennent à la famille ethnolinguistique du peuple Jivaro qui vit au nord du Pérou et de l’Équateur. Les Achuar des fleuves Corrientes et Tigre ont cohabité sur le même territoire pendant plus de 30 ans avec des exploitations pétrolières. Tout d’abord avec Occidental Petroleum et l’entreprise nationale Petroperú, puis Pluspetrol, qui a acquis les droits de concession des lots 1AB et 8 en 1986. Ces quelque 7 000 péruviens se sont lassés d’être laissés dans l’oubli.

D’après l’avocate Lily La Torre, de l’ONG Racimos de Ungurahui, institution qui leur fournit des conseils juridiques depuis la création, dans les années 80 de l’Association interethnique de développement de la forêt péruvienne (AIDESEP) [2], des fuites importantes se produisent chaque année et les sources d’eau sont polluées. La faune, elle, a été progressivement empoisonnée et décimée. Une série de changements sociaux déclenchés par la présence de l’entreprise ont également eu lieu. Du fait de tous ces bouleversements, les membres de la communauté Achuar, qui auparavant vivaient principalement de leurs terres, sont aujourd’hui tributaires de l’entreprise Pluspetrol et des nombreux articles et services qu’elle leur fournit.

Les populations affectées font entendre leur voix

Selon Alberto Pizango Chota, directeur de l’AIDESEP, les peuples indigènes de l’Amazonie du Pérou ont toujours revendiqué leur droit à la libre détermination, afin de pouvoir choisir eux-mêmes leurs priorités et évoluer en accord avec leur réalité quotidienne. C’est d’ailleurs l’un des points pour lesquels s’est mobilisé l’AIDESEP, faisant appel à la démocratie pour vivre dignement et en paix.

L’action du peuple Achuar est un grand pas : ce qu’il a fait, c’est dire « ça suffit ! » à un gouvernement qui les opprime et les marginalise, afin qu’il respecte les droits légitimes des peuples originaires qui ont été soumis à des lois étrangères à la culture et la réalité qui sont les leurs. C’est pourquoi ils revendiquent le droit à la terre : « c’est notre héritage ancestral et nous voulons en profiter non pas comme une marchandise, mais comme un droit, nous voulons en faire un lieu de vie paisible, protéger notre environnement et y vivre en harmonie pour permettre le maintien de la vie humaine sur la planète ».

Des signes de mort

Imaginons une matinée ensoleillée. Soudain, les eaux du fleuve atteignent 90°C et se mettent à bouillir. Les prélèvements effectués révèlent qu’elles contiennent des substances telles que du plomb, du baryum, du cadmium, du benzène, du mercure, de l’arsenic, du manganèse, des minéraux lourds, résultant du processus d’extraction du pétrole. L’eau est plus salée que celle de la mer, elle est ingérée par les poissons qui sont ensuite mangés par la population : c’est l’engrenage mortel de la pollution... mais ce n’est encore rien. Aux sept à huit écoulements de pétrole annuels qui détériorent les sols, viennent s’ajouter, comme si ce n’était pas assez, les torchères dont sont dotés chacun des puits. Elles produisent du Co2, provoquent des problèmes pulmonaires et sont à l’origine de pluies acides qui endommagent les cultures de manioc par exemple. L’impact culturel des nouveaux arrivants est également un paramètre important.

Les questions à régler

L’anthropologue et linguiste Richard Chase Smith, directeur de l’Instituto del Bien Común (Institut du Bien Commun), auteur, entre autres, de Un tapiz tejido a partir de las vicisitudes de la historia, el lugar y la vida cotidiana [3] explique que l’une des questions à régler a trait aux droits des Achuar, l’accès aux territoires et le contrôle des terres et des ressources indigènes, autrement dit, à la reconnaissance de ces droits. Concernant le peuple Achuar, il s’agit principalement des concessions pétrolières, mais dans certains cas, le problème se pose au niveau de zones protégées qui finissent par être cédées à des tiers. Les concessions minières, et les mines d’or de la région de Madre de Dios sont un autre problème.

Les peuples indigènes s’organisent autour d’un type d’économie qui leur est propre : l’économie du don, basée sur le principe du cadeau qui rend redevable celui qui le reçoit et qui doit donner en retour. Si, par exemple, je sème du maïs, je vais inviter ma famille et d’autres membres de la communauté à venir partager ma récolte, et je sais qu’à leur tour, ils m’inviteront à partager la leur le moment venu, cela permet aux familles de vivre. Les Achuar sont aujourd’hui soumis à une économie de marché : les règles du jeu ne sont pas les mêmes et le système culturel bien différent. La libre concurrence et l’accumulation de biens et de capitaux – des valeurs à l’opposé de l’économie du don – y sont de mise. Cela crée des problèmes très sérieux comme la discrimination. Cependant, lorsqu’il s’agit de rendre ces populations autonomes pour le développement agricole grâce au transfert de technologies et à des institutions financières de l’extérieur, la réponse du Ministère péruvien de l’économie et des finances est la suivante : « L’État ne peut s’endetter pour un groupe d’indigènes ». Bel exemple de marginalisation.

De l’avis de la professeure Ada Chuecas, directrice du Centre amazonien d’anthropologie et d’application pratique (CAAAP) [4] qui connaît bien la question, l’État devrait manifester une volonté politique de résoudre les problèmes actuels relatifs aux peuples indigènes. Car si, jusqu’à présent, une assistance leur a été proposée, aucune politique d’inclusion claire n’a été présentée concernant ces populations dans le cadre du processus de développement du pays. La réforme de l’État péruvien est l’une des autres questions à régler, l’objectif étant que le pays soit reconnu comme pluriculturel, afin que les Achuar, eux, se reconnaissent dans les politiques, les normes légales et constitutionnelles ainsi que les plans et programmes de développement du pays. Et finalement, le plus important, c’est bel et bien que les intéressés participent activement à la prise de décision afin que d’autres ne s’expriment pas à leur place.

L’accord

L’autodétermination des peuples est l’objectif stratégique fondamental des populations indigènes, rappelle Lily La Torre. L’accord signé avec le gouvernement le 22 octobre dernier (souhaitons que la société péruvienne se l’approprie et veille à ce qu’il soit respecté) prévoit la réinjection des eaux de production déversées dans le bassin du fleuve Corrientes avant le 31 décembre 2007, la mise en marche d’un plan intégral de santé permettant de faire face à l’impact environnemental dont sont victime les natifs et la réparation (traitement) du passif et des dommages environnementaux dont sont à l’origine les lots 1AB et 8. Afin de veiller au respect de cet accord, les communautés elles-mêmes recevront une formation adéquate. Enfin, la Fédération des communautés natives du fleuve Corrientes (FECONACO) [5] s’engage à ne pas autoriser l’État à octroyer de nouvelles concessions pétrolières.

Dans d’autres pays comme l’Alaska, des dommages de ce genre, commis dans la plus grande impunité, sont inconcevables. Ici, au Pérou, nous devrions exiger les mêmes normes : le moindre impact négatif sur la vie, aussi minime soit-il, devrait immédiatement être sanctionné. Heureusement, l’organisation indigène s’est mobilisée derrière ses apus [6], notamment Tomás Mayna, leur chef spirituel, et a pu parvenir à une solution pacifique. Cette dimension spirituelle fait aussi partie de l’identité de ces peuples qui, aujourd’hui et toujours, méritent le respect.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2910.
 Traduction de Gabrielle Luce-Véronique pour Dial.
 Source (espagnol) : revue Signos (Pérou).

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[1Organisme national de défense des droits humains.

[2Asociación Interétnica de Desarrollo de la Selva Peruana, en espagnol.

[3Une tapisserie tissée à partir des vicissitudes de l’histoire, du lieu et de la vie quotidienne.

[4Centro Amazónico de Antropología y Aplicación Práctica, en espagnol.

[5Federación de las Comunidades Nativas del Río Corrientes, en espagnol.

[6Autorités traditionnelles.

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