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URUGUAY - Entretien avec Pablo Messina : « Le modèle uruguayen montre qu’il ne faut fétichiser aucune source d’énergie »
Felipe Gutiérrez Ríos
samedi 29 juin 2019, mis en ligne par
Cet entretien a été publié sur le site de l’Observatorio Petrolero Sur (OPSur) le 4 avril 2019 [1].
Ce n’est pas une révolution aussi verte que la peignent ses défenseurs, elle n’est pas non plus aussi chère que le disent ses détracteurs. L’économiste Pablo Messina aborde les grandes lignes de la modification du système énergétique uruguayen dans la dernière décennie, qui a conduit à ce que la moitié de l’électricité du pays soit aujourd’hui produite par des éoliennes. Membre de la Coopérative COMUNA, il questionne le système tarifaire qu’il qualifie d’inégal et injuste, plutôt que cher. Il critique la privatisation qui est allée de pair avec l’arrivée des énergies renouvelables. « Il faut revoir cette idée des énergies renouvelables comme bon capitalisme vert face aux hydrocarbures des méchants capitalistes. C’est comme l’histoire du bon policier et du méchant policier, en fin de compte, tous deux travaillent pour la même institution répressive. Les énergies vertes et les hydrocarbures fonctionnent tous deux selon la logique du capital et sont complémentaires plus qu’antagonistes », explique-t-il.
Pablo Messina, économiste, est membre de la Coopérative COMUNA, espace qui réunit divers chercheurs en sciences économiques qui conseillent et collaborent avec des organisations du monde populaire. Dans ce cadre, ils travaillent depuis 10 ans conjointement avec AUTE, le Syndicat des travailleurs de l’entreprise publique d’État d’énergie électrique de l’Uruguay, UTE. Ils analysent la situation énergétique du pays à partir de ce point d’observation, nuancent certains aspects de la supposée « révolution verte » qu’a signifié le changement de matrice énergétique et discutent aussi avec les voix qui soutiennent que c’est un modèle basé sur les coûts élevés que paient les usagers et usagères particuliers.
Messina caractérise en trois points le modèle énergétique uruguayen. En premier lieu, il est 100% dépendant de l’importation de pétrole, malgré les récentes tentatives d’exploration de nouvelles frontières hydrocarburifères, loin de la côte et non conventionnelles. En deuxième lieu, la production énergétique, tant pour le raffinement du pétrole que pour la production principale d’électricité, a historiquement été prise en charge par les entreprises publiques, la pétrolière ANCAP et l’électrique UTE. Ce processus s’est vu modifié par la troisième caractéristique : aujourd’hui la presque totalité de l’électricité provient de sources non fossiles, près de 55% d’hydroélectricité et le restant en énergies renouvelables non conventionnelles, principalement les éoliennes. « Ce changement signifie que l’entreprise étatique avait pratiquement le monopole de la production, jusqu’à l’ère progressiste, qui avec le Front large au pouvoir change drastiquement les choses », soutient l’économiste. « Ce sont quelques-unes des caractéristiques et des phénomènes les plus récents de la transition énergétique en Uruguay. Le fait que nous ayons une matrice électrique presque 100% renouvelable est très connu, mais la transition a aussi un côté trouble où le public a perdu du terrain puisqu’elle a été effectuée sur la base de privatisations et de capture de rentes de l’entreprise publique par de grands groupes. Ce deuxième aspect n’est pas connu. »
D’où a surgi toute cette proposition d’énergies renouvelables dans le pays ?
Il est intéressant de regarder en arrière pour retrouver les politiques à l’origine de cette transition. La première, c’est un décret de la dictature civico-militaire uruguayenne en 1977, qui est connue ici comme la Loi d’électricité, est toujours en vigueur aujourd’hui. C’est ce qui permet la production privée d’électricité. Jusqu’alors il y avait un monopole légal de la UTE pour la génération. Mais bien que les règles changent, cela n’a pas eu d’incidence réelle.
Quand arrivent les années 90, avec la vague du Consensus de Washington, on largue une Loi de services publics en 1991, qui prétend privatiser les entreprises publiques. Cette loi est en grande partie bloquée par un plébiscite gagné avec 72% des voix en 1992. Quelques entreprises sont alors privatisées, mais l’immense majorité, dont la UTE, reste propriété de l’État et la production reste entièrement publique.
En 1997 est mis en place un cadre régulateur pour générer un marché électrique, qui s’appuie sur la loi de 1997, mais avec des normes régulatrices plus affinées qui facilitent la production électrique privée. Mais la crise arrive et génère un contexte économique peu propice au développement. En 2008, alors que le Front large est au pouvoir [2] est votée une planification qui prévoit une très forte avancée vers les énergies renouvelables. On l’appelle « le plan de politiques énergétiques 2005-2030 », bien qu’il soit lancé en 2008. Et en 2010 il y a un accord multipartite pour avancer dans ce projet et là oui, prenant appui sur la loi édictée lors de la dictature et le cadre régulateur des années 90, et avec un consensus politique très fort, ils commencent à promouvoir la loi de licitations pour que les investisseurs privés s’impliquent dans la production d’énergie, en particulier de l’énergie éolienne.
Quelle est, selon toi, la raison pour laquelle un gouvernement progressiste, comme l’est celui du Front large, prend cette décision qui aboutit à la privatisation d’une bonne partie du secteur ?
J’ai du mal à identifier une raison, mais sans doute y en a-t-il une d’ordre idéologique. Elle doit avoir un rapport avec la croyance que si une entreprise privée le fait, c’est mieux, c’est ça l’idée de fond. Une autre raison est en rapport avec l’idée que l’État pourrait arriver à le faire bien, mais qu’il n’a pas les finances. Mais c’est une idée que l’on peut facilement démentir. Pour prendre un exemple, l’État uruguayen a négocié avec le BID une ligne de crédit pour les privés qu’il aurait pu utiliser pour lui-même. En outre l’entreprise d’État uruguayenne UTE dispose d’excellentes conditions financières. En ce sens, elle aurait pu, si elle en avait eu la volonté, générer toute une batterie de programmes économico-financiers pour assurer le gros des investissements dans l’éolien. Mais ce qu’ils ont fait c’est générer un cadre régulateur favorisant encore plus les privés, en leur donnant ces canaux de crédits, dont l’État se porte garant. Ces crédits sont pour les investisseurs privés, non pour l’État uruguayen, qui aurait pu demander un prêt pour investir dans l’éolien.
Dans le même contexte est votée la Loi de promotion des investisseurs, spécifique aux énergies renouvelables. C’est intéressant parce qu’on publie un décret où l’investissement que réalise la UTE ne peut être déclaré d’intérêt national, par conséquent, un parc éolien où investit l’État via la UTE ne peut être déclaré d’intérêt national par l’État uruguayen, mais si c’est un investisseur privé qui le fait, c’est possible. C’est tout un paquet de politiques qui se conjuguent pour favoriser et faciliter la privatisation.
Alors, existe-t-il, oui ou non, une « révolution des énergies vertes » en Uruguay ?
D’abord il faut situer l’Uruguay comme un pays tout petit, comme une province, pour mettre à leur juste place ces mots : « Quelles dépenses ! L’éolien représente presque 34% ou 35% de l’offre cette année ! » Pour avoir une idée, on parle en fait de moins de 1 500 MW de puissance éolienne installée [3]. De ces 1 500 MW, seulement 11% relèvent de l’entreprise publique, c’est-à-dire que 89% relèvent de l’offre privée.
Ensuite, il faut repenser cette idée des énergies renouvelables comme le bon capitalisme vert et des hydrocarbures comme les méchants capitalistes. C’est comme parler du bon policier et du méchant policier, au fond, tous deux travaillent pour la même institution répressive. Les énergies vertes et les hydrocarbures fonctionnent tous deux selon la logique du capital et sont complémentaires plus qu’antagonistes. D’un point de vue métabolique, du point de vue du système énergétique, il est fondamental de comprendre cela. Pour qu’il y ait une éolienne, il faut qu’il y ait une exploitation minière, il faut qu’il y ait de la sidérurgie, il faut qu’il y ait l’industrie du verre pour faire les pales, parce qu’elles ne se fabriquent pas à partir de rien. Alors quand on regarde le cycle énergétique de ce parc éolien, c’est nettement moins enthousiasmant.
Et si on analyse quel est le composant national des investissements, il y a un petit peu de construction, pratiquement pas de métallurgie et le plus gros composant national des investissements éoliens sont les conseils juridiques et financiers. Voilà donc un business qui bénéficie à un cabinet d’avocats, avec aussi toute une série d’entreprises qui sont des développeuses de projets qui évoluent plutôt dans la sphère financière, sans rapport avec l’économie réelle et la production. Cela n’apporte rien sur la plan productif ou technologique.
Il me semble donc que le modèle uruguayen montre qu’il ne faut fétichiser aucune source d’énergie. Les sources sont toutes naturelles, il est bon d’utiliser les meilleures, en essayant évidemment de transcender les énergies fossiles, parce qu’elles ne sont pas durables et que nous nous acheminons vers une crise économique, écologique et civilisationnelle. Mais il est impossible de penser, dans le cadre du capitalisme, que nous allons pouvoir résoudre ces contradictions, parce que les technologies verte et pétrolière sont complémentaires, et parce que le capitalisme a besoin de phagocyter à son profit la nature et la classe ouvrière. Disons que ce sont ses deux sources de richesse et qu’il doit les manger pour se reproduire.
Partant de l’idée que ce doit être l’État qui contrôle le secteur énergétique, dans ce cas à travers la UTE, crois-tu qu’il y ait une crise pour penser le modèle de gestion de l’entreprise publique ? Je pense, par exemple, au rôle des travailleurs et travailleuses, des usagers et usagères dans ce processus.
Oui, bien sûr, disons que le problème de gestion de l’entreprise publique est sans aucun doute un problème important et ancien. De fait il y a quelques débats historiques en Uruguay qui sont bien significatifs. L’entreprise apparaît en 1912, à cette époque il y avait quelques courants qui disaient que les travailleurs doivent faire partie du directoire, c’est un des combats qui ont été mené et qui ont toujours été perdu. Il s’est passé la même chose dans les années 30 quand surgit l’autre entreprise énergétique, ANCAP, qui est celle de la raffinerie de pétrole.
En Uruguay, la gouvernance du secteur électrique est bien particulière. Si l’on regarde ce que l’on appelle le marché électrique, y participent l’entreprise UTE et son directoire, les grands consommateurs que sont les grands groupes économiques industriels et les producteurs privés d’électricité qui sont aussi, en général, de grands groupes économiques industriels ou financiers. Mais ni les syndicats de l’entreprise électrique ni les particuliers usagers n’y participent. Il y a donc clairement une concentration classiste de la participation dans la gouvernance de l’électricité en Uruguay, classiste dans le sens le plus excluant possible : seuls peuvent y participer les représentants de la classe dominante. Cela implique évidemment la nécessité de discuter aussi à fond ce modèle : la défense du secteur public est importante, mais pas nécessairement celle du modèle actuel. Parce que le modèle actuel du secteur public exclut en réalité de la prise de décision les secteurs populaires.
Quel rôle pourrait avoir là dans ce processus les usagers et usagères ?
AUTE, le syndicat de UTE, promeut l’idée d’un mouvement d’usagers, en nous appuyant sur des antécédents historiques de divers endroits. Le premier que nous avons vu a été le cas mexicain, quand a éclaté le conflit sur la privatisation de l’entreprise électrique. Là le syndicat fait non seulement une grève énorme, mais en plus, quand il se met en grève, il aide à connecter et déconnecter des foyers, leur permettant d’accéder à l’électricité même s’ils ne payaient pas. Ils ont lancé alors l’idée d’un mouvement d’usagers, qui appuie la grève des travailleurs, avec aussi l’idée qu’il pourrait participer à la gouvernance de l’entreprise.
Après, en regardant un peu plus loin dans le passé, il y a deux autres exemples qui nous ont beaucoup inspirés. Le premier, c’est en Italie durant les années 70, quand se produit un mouvement de refus de paiement. C’est un mouvement d’usagers qui est aussi en connivence avec le syndicat et les travailleurs de l’entreprise électrique. Il s’est passé quelque chose de très intéressant : on payait seulement la moitié du tarif, si le receveur de l’entreprise venait, il notait qu’il avait été payé, mais il ne faisait payer que la moitié. Les usagers disaient « jusqu’à la moitié nous payons, mais pas plus ». Et dans quelques zones où l’organisation populaire était plus forte, ils avaient la consigne de payer le même tarif que les patrons, c’est-a-dire quatre fois moins.
Le deuxième cas, que nous avons trouvé plus récemment, s’est produit en Uruguay en 1935 et à nouveau en 1960 : des groupes d’habitants à l’intérieur du pays se sont organisés pour accéder à l’électricité et pouvoir payer moins cher. Là nous nous sommes dit, bon, nous avons des antécédents immédiats dans la région, des antécédents historiques dans notre pays. Faire revivre ces traditions de lutte pour les penser aujourd’hui nous semble une bonne chose. Et cela, non seulement pour mener un combat au sujet du prix, dans ce cas le tarif, qui est une chose plus éphémère, mais pour discuter de la gouvernance de l’énergie en Uruguay.
Es-tu d’accord avec l’idée que le modèle énergétique uruguayen repose sur des tarifs excessivement élevés pour les particuliers ?
En général quand quelqu’un vient de l’étranger il dit : « Aïe, les tarifs en Uruguay sont élevés, non ? ». Ce n’est pas le cas. Il faut prendre en compte le fait que le tarif n’a pas qu’un seul niveau qu’on pourrait calculer, il a plutôt une structure avec, depuis la Loi d’électricité de la dictature, plusieurs types de consommateur qui sont, en simplifiant, les particuliers (tarif résidentiel), le commerce (tarif moyen) et les industries (tarif des grands consommateurs). Comparer le prix est donc difficile, avec plusieurs subtilités à prendre en compte : on convertir tout en dollars mais le dollar ne coûte pas la même chose partout et le panier du consommateur de chaque pays est distinct. Faire cette comparaison requiert beaucoup de soin, quand on fouille un peu plus, qu’on regarde le tarif résidentiel uruguayen et qu’on le compare avec des générateurs qui ont une densité de clients au kilomètre carré semblable à celle de l’Uruguay, il n’est pas parmi les plus chers. De fait, quand on compare à des entreprises argentines avec une densité de clients semblable à l’uruguayenne, les compagnies privées sont plus chers que les publiques. Même chose pour ce que nous pouvons appeler le tarif industriel de grands consommateurs. Si on le compare à quelques tarifs de type industriel d’autres pays de la région, il apparaît que le nôtre est relativement bon marché. Mais quand on compare le tarif résidentiel que paient les particuliers, le nôtre est l’un des plus chers. Pour cette raison aussi le syndicat des travailleurs de la UTE considère que le tarif est plus injuste qu’élevé ou bas, parce qu’il a une fond structurel ambiguë. La spécificité de l’Uruguay est la brèche énorme qu’il y a entre les coûts de l’électricité résidentielle et de celle des grands consommateurs, qui paient en gros la moitié.
Quelle forme prennent ces inégalités ?
En plus des inégalités au sein de la structure tarifaire même, il est vrai également que le tarif résidentiel représente un effort distinct selon les différentes couches sociales. Sur ce point, les données dont nous disposons sont très anciennes, une nouvelle enquête sur les dépenses des ménages est seulement en train d’être réalisée maintenant, nous pourrons donc répondre plus précisément à cette question dans quelques années. Sur la base de ces données anciennes, la facture d’électricité représente environ 4% des dépenses des foyers. Mais quand on sépare la population en fonction des revenus, on se rend compte que la facture d’électricité représente 10 à 12% du budget des 10% les plus modestes, contre 2% pour les 10% les plus riches. Et si l’on regarde la consommation en kilowatt/heure, celle des plus riches représente en moyenne deux fois et demie celle des plus pauvres. L’effort que représente en Uruguay pour un foyer aux faibles ressources le paiement de la facture d’électricité est clairement énorme, il y a donc là aussi une inégalité importante. Depuis 2010 certains changements ont été opérés dans la structure tarifaire pour tenter de réduire cet important problème.
Plusieurs réponses ont été essayées, comme la création du tarif de base, que j’appelle moi le tarif des « seules et seuls », car en réalité, si tu as une structure familiale plutôt grande, il est très difficile de s’en tenir à ce niveau. C’est donc un très bon tarif pour encourage l’économie d’électricité, mais bien moins pour la redistribution. À ce tarif en ont été ajouté d’autres dans la même logique, avec quelques facilités qui sont liées aux programmes de transferts de revenus, similaires aux allocations familiales qui existent en Argentine. La population en extrême pauvreté peut désormais bénéficier d’un tarif avantageux, il y a donc un secteur minoritaire, très paupérisé, qui a bénéficié de ces changements. Il faudrait donc nuancer les estimations faites à partir des données de 2005-2006 en intégrant ces changements qui ne peuvent pas pour l’instant être évalués faute de données plus actuelles.
Dans votre travail aux côtés du syndicat de UTE, qu’a-t-il été pensé en termes de propositions pour faire face à cette inégalité des tarifs ?
Ce que nous avons élaboré à COMUNA en association avec AUTE c’est une proposition basée sur la considération que l’accès à l’électricité doit être un droit humain de base. Nous avons toujours dit qu’en Uruguay le lait ne paie pas la TVA, parce que si on met la TVA sur le lait, ça se terminera en insurrection populaire. Pourtant il y a des gens qui ne boivent pas de lait ou sont allergiques au lactose. Mais avec l’électricité, oui, on comprend bien que cela intéresse tout le monde et qu’elle est indispensable au XXIe siècle. La TVA sur l’électricité est pourtant de plus de 22%. Nous avons donc fait une proposition qui compte deux volets. Le premier est la réduction de la TVA sur tous les coûts fixes associés à la facture d’électricité et que, jusqu’à une consommation de 200 kWh, on ne paie pas de TVA. Ce qui se consomme jusque ce niveau est un droit humain, c’est une consommation de base. Et au-delà de 200 kWh, oui, on paierait la TVA. Cela représente une perte de revenus pour l’État qui doit être compensée par un second axe de changement, qui consiste en l’augmentation de 5% du tarif des consommateurs moyens et de 10% du tarif des grands consommateurs.
Voilà la proposition qui a été faite pour laquelle on se bat depuis un plus d’un an. Elle est associée à l’idée de lancer un mouvement d’usagers, pour lui donner une force non seulement au niveau syndical mais aussi territorial. Il faut que les foyers qui paient leur facture tous les mois disposent d’une forme d’organisation pour contribuer à la lutte pour le changement tarifaire.
Crois-tu que cette lutte coïncide avec celle qui a lieu dans d’autres pays de la région autour de la transition et de la souveraineté énergétique ? En divers territoires on a avancé avec des propositions qui combinent la défense du contrôle public du secteur avec des expériences comme la production distribuée par le biais d’autres acteurs comme les coopératives et l’autoproduction résidentielle.
Penser la transition est une bonne idée, mais je ne crois pas qu’il y ait un modèle unique de gouvernance de la production et de la distribution. Par exemple, je trouve important d’optimiser la consommation résidentielle et que les résidants puissent produire à petite échelle, mais ce n’est pas le changement systémique qui va solutionner le problème que nous avons aujourd’hui. Cette idée de minighettos autonomes revient souvent mais elle n’a pas de vision d’ensemble, c’est problèmatique.
Je sais par ailleurs que dans d’autres pays les coopératives fonctionnent comme agents de distribution, mais il faut se montrer prudent vis-à-vis de ces expériences, parce que cela peut générer un petit monopole local, où le groupe de propriétaires de cette coopérative disposent d’un très grand pouvoir sur la communauté. Et si on pense à la production, les ressources énergétiques ne sont pas distribuées de façon équitable sur le territoire, il y a donc des rentes différentielles. Ces ressources peuvent se trouver dans la terre, mais prendre la forme d’énergies distinctes, ce qui peut générer ou creuser des inégalités territoriales. Mon avis est donc qu’il ne faut idéaliser aucune forme ; il faut comprendre que l’important c’est d’avoir le plus grand contrôle démocratique possible. Voilà en quelque sorte les deux prémisses, les formes dépendent ensuite de chaque lieu, contexte et société. Je crois que dans le cas uruguayen la forte tradition d’identification du peuple avec l’entreprise publique invite, me semble-t-il, à la maintenir, mais à changer la gouvernance, qui aujourd’hui exclut les travailleuses et les travailleurs de la UTE de même que les usager et usagères résidentiels parce qu’elle est exercée par de grands groupes économiques. Il faut donc générer une autre corrélation de forces, où travailleurs et communauté puissent prendre part aux décisions importantes, c’est-à-dire démocratiser.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3498.
– Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
– Source (espagnol) : Observatorio Petrolero Sur, 4 avril 2019.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] La série d’articles « Alternatives pour la souveraineté énergétique » est financée par la Fondation Rosa Luxembourg (FRL) avec des fonds du ministère fédéral de coopération économique et développement d’Allemagne (BMZ). Le contenu de la publication est sous la responsabilité exclusive d’OPSur, et ne reflète pas nécessairement une position de la FRL.
[2] Le Front large remporte les élections de 2004 et est au pouvoir depuis lors – note DIAL.
[3] Tandis qu’en Uruguay la puissance installée d’électricité était de 4 244 MW en décembre 2017 (dernier rapport de l’Administration du marché électrique), en Argentine la puissance installée atteignait 38 609 MW en février 2019 selon les données de CAMMESA – note d’OPSur.