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DIAL 3671
URUGUAY - Face à la crise de l’eau et aux critiques internationales, le gouvernement se trompe d’urgence
Eduardo Gudynas
vendredi 29 septembre 2023, mis en ligne par
Ce bref texte d’Eduardo Gudynas [1] met en regard la lenteur du gouvernement de Luis Alberto Lacalle Pou (Parti national, droite, 2020-) pour réagir à la crise de l’eau que traverse le pays et sa rapidité à monter au créneau après les déclarations critiques du rapporteur spécial de l’ONU sur le droit humain à l’eau potable et à des sanitaires… Article publié le 21 juillet 2023 par l’hebdomadaire uruguayen Brecha.
Le gouvernement a attendu six mois pour prendre des mesures concrètes face à la crise de l’eau potable qui frappe la zone métropolitaine, mais il lui a fallu à peine six heures pour réagir à un communiqué international mettant en évidence le désastre hydrique dans le pays.
Lorsqu’ont été diffusées les déclarations officielles du rapporteur spécial sur le droit humain à l’eau potable et à des sanitaires, dans lesquelles, entre autres choses, il expliquait que les racines des problèmes que nous connaissons résident dans la surexploitation de l’eau et dans sa privatisation de fait, la Présidence a réagi à une vitesse vertigineuse. En quelques heures, elle a exprimé son mécontentement : le ministère des affaires étrangères a émis un communiqué et s’est plaint auprès du représentant des Nations unies en Uruguay. Cette rapidité face à une critique de portée internationale contraste avec la lenteur affichée pour affronter la crise. Depuis au moins le mois d’octobre 2022, la gravité du déficit hydrique sautait aux yeux. Le gouvernement le savait et a pris, pour cette raison, des mesures en faveur du secteur agricole. Mais il n’a rien fait pour gérer autrement l’eau potable.
Au début de l’été [2], par exemple, il aurait pu commencer à étudier des plans d’urgence afin d’éviter l’effondrement des réserves ; en février, il aurait pu mettre sur pied, au cas où, une flotte de camions citernes ; en avril, au lieu d’émettre des recommandations sur les économies d’eau, il aurait pu instaurer des rationnements ; en mai, aurait dû être mis en œuvre un programme intensif pour réparer les canalisations d’eau qui fuient. La sécheresse s’aggravait, mais le gouvernement restait lent, très lent, à réagir.
Le contraste est évident entre, d’une part, la volonté d’effacer au plus vite une critique internationale risquant d’écorner l’image du pays à l’extérieur et, d’autre part, l’insuffisance des actions menées et l’indifférence face au mécontentement local. Il semblerait que le gouvernement n’ait pas compris que ce communiqué, rédigé par un rapporteur auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, va au-delà de la crise en cours. La sécheresse s’inscrit dans une problématique plus large qui touche les ressources hydriques et qui englobe des éléments comme la pollution, la désorganisation des ouvrages hydrauliques – comme les petits barrages et les réservoirs privés –, la surexploitation de l’eau souterraine, le déboisement et le manque d’information et de participation des citoyens, entre autres facteurs. Dans notre pays, les grandes entreprises consommatrices ponctionnent d’énormes volumes d’eau gratis, tandis que les habitants des villes doivent payer chaque mètre cube. La nouvelle usine de cellulose d’UPM, par exemple, consomme gratuitement l’équivalent de ce qu’utilise une ville d’environ 900 000 habitants.
Le gouvernement a beau protester contre le rapport de l’ONU, cette crise est si grave et sa gestion si anarchique et inefficace qu’elle ne cesse d’être évoquée dans les grands médiaux internationaux. Dans des reportages en anglais, en français ou en allemand, il est question de tous ces problèmes et de leurs causes. Ils ne sont pas très flatteurs pour nous car, de surcroît, ils décrivent les modes d’action du gouvernement, comme la création de la catégorie « eau buvable » pour remplacer celle d’« eau potable », la célébration de l’acquisition d’une station de potabilisation trop grande pour entrer dans l’avion chargé de l’acheminer au pays, ou la construction hâtive de digues appelées à être démolies quelques mois plus tard.
Quand les chefs d’État présents au sommet de la CELAC (Communauté des États latino-américains et des Caraïbes) sont arrivés à Bruxelles, ils avaient à portée de main l’éditorial du prestigieux quotidien britannique The Guardian du dimanche 16 juillet. Le président Luis Lacalle Pou l’avait lui aussi pas loin. Mobilisant des arguments semblables à ceux contenus dans le communiqué du rapporteur de l’ONU, l’éditorial affirme que la situation que nous vivons est due en partie à la sécheresse et que cette dernière peut être réinscrite dans le cadre du changement climatique. Mais il alerte en outre sur les utilisations non durables de l’eau, notamment dans les secteurs forestier et agricole, et pour des utilisations comme celle proposée par Google [3]. Tels sont les problèmes de fond qu’il faut régler dès que possible et pour lesquels la rapidité est légitime et nécessaire.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3671.
– Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
– Source (espagnol) : Brecha, n° 1965, 21 juillet 2023.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Voir, du même auteur, DIAL 3257 - « BRÉSIL - Le plus grand extractiviste du continent », 3258 - « AMÉRIQUE DU SUD - Progressisme et gauche marron » et 3383 - « Étrange débat sur le « lactose » au sein de la gauche et du progressisme latino-américains ».
[2] Dans l’hémisphère sud, l’été commence en décembre – note DIAL.
[3] Google utilise l’eau pour refroidir ses fermes de serveurs – note DIAL.