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DIAL 2734
EQUATEUR - Les fumigations à la frontière de l’Equateur et de la Colombie
Yanik Delvigne
mercredi 16 juin 2004, mis en ligne par
La lutte contre la coca cultivée dans la forêt colombienne amazonienne, à la frontière de l’Equateur, est effectuée par des avionnettes répandant un produit dénommé glyphosate. Ses effets destructeurs vont malheureusement au-delà de la seule coca. Des familles paysannes équatoriennes ont dû abandonné leurs propriétés. Article de Yanik Delvigne, ALAI, 2 mars 2004.
Depuis juillet 2003, 80 familles équatoriennes ont abandonné leurs propriétés situées à Puerto Mestanza, sur les bords du fleuve San Miguel, suite aux fumigations de zones colombiennes de la forêt amazonienne afin d’éradiquer les plantations de coca de l’autre côté du fleuve.
Victor Mestanza, le fondateur de la localité, est membre d’une des 5 familles qui sont restées. Il explique : « Avec les fumigations qui ont commencé en janvier 2000 dans le cadre du Plan Colombie la situation est désespérante, on ne peut pas travailler, ils ont ruiné nos cultures et notre économie. »
Dans les jours qui ont suivi la dernière aspersion d’herbicide réalisée « par des avionnettes colombiennes qui ont survolé notre territoire » ce paysan a subi la perte de « plusieurs hectares de canne à sucre, de banane, 170 mille poissons morts dans ses viviers, 400 canards et 70 porcs », soit le fruit de 23 ans de travail dans la région.
Le Plan Colombie a démarré en 2000 grâce à un financement des Etats-Unis pour lutter contre le narcotrafic dans lequel sont impliqués les groupes paramilitaires et les Forces armées révolutionnaires (FARC). Le plan et les actions de l’armée colombienne contre les FARC se sont accrus en intensité depuis l’élection du président Alvaro Uribe en Colombie et la mise en place de la politique militariste antiterroriste du gouvernement des Etats-Unis. L’Equateur s’est aussi impliqué dans le conflit du pays voisin et a des milliers de soldats cantonnés à la frontière, ce qui représente une pression que déplore la population frontalière.
Selon le président du groupement des personnes lésées par les fumigations, Daniel Alarcón, le problème atteint environ 10 000 colons et indigènes de Sucumbíos qui vivent tout le long des 300 kilomètres de frontière que la province partage avec la Colombie. Ils présentent divers problèmes de santé qu’ils attribuent au glyphosate, puissant herbicide, épandu au dessus des zones d’habitat, des écoles, des rivières et des marais.
« Nous n’avons rien à manger, nous ne pouvons rien semer sur nos terres » proclame Alarcón. (...)
Au nom des 97 organisations populaires qu’il représente, Alarcón exige du gouvernement équatorien une prise de position claire face au problème : suspension des fumigations et mise en place d’un couloir-tampon de 10 kilomètres au nord du fleuve San Miguel en territoire colombien ; indemnisation par le gouvernement colombien des personnes lésées et mise en place d’un plan de développement socio-économique pour les nombreuses communautés qui n’ont ni électricité, ni eau potable, ni services sanitaires.
Pour répondre aux plaintes des colons frontaliers, la Commission des droits humains du Congrès équatorien a organisé une visite de la région entre le 27 et 29 février afin d’y recueillir des témoignages et d’entendre les dénonciations effectuées par les paysans et les responsables locaux.
Ce parcours a été décidé à l’initiative de la présidente de la Commission des droits de l’homme María Augusta Rivas qui a invité la Commission scientifique constituée par le ministère des affaires étrangères afin d’étudier d’éventuels dommages en territoire équatorien. Le représentant du ministère des affaires étrangères, Oscar Izquierdo, et trois agronomes de la Commission scientifique ont pris part à la visite.
Patricia Zuquilanda, ministre des affaires étrangères, n’a pas encore défini sa position auprès du gouvernement colombien, et elle n’a pas non plus renouvelé les exigences de celle qui l’a précédée, Nina Pacari, pour qu’un couloir-tampon de 10 km soit respecté afin d’éviter des dommages sur le territoire équatorien. Le représentant du ministère, Oscar Izquierdo, a expliqué qu’on devait attendre les résultats de la Commission avant de définir une position.
Crée par le ministre Zuquilanda en septembre 2003, la Commission n’a à ce jour, présenté ni résultats, ni protocole de recherche. « On ne peut pas encore démontrer que le produit (le glyphosate) soit arrivé chez nous » a dit l’agronome Ruben Tamayo qui a expliqué que la Commission devait d’abord établir un plan de travail pour recueillir scientifiquement des preuves. Les scientifiques travaillent avec leurs homologues colombiens dans le cadre d’une commission binationale afin de parvenir à des conclusions et à d’éventuelles recommandations communes sur de probables dégâts en Equateur.
Le glyphosate, a expliqué l’agronome Tamayo, est un herbicide produit par la compagnie états-unienne Monsanto, il est capable de détruire toutes les plantes pulvérisées, mais disparaît en moins de 72 heures après son application, ce qui rend très difficile tout constat d’utilisation. Il a également affirmé que c’était un des herbicides les plus utilisés dans le monde pour l’agriculture commerciale et que, lorsqu’il est utilisé en respectant dosages et concentration recommandés, sa toxicité pour l’homme ou l’animal n’a jamais été prouvée.
Cependant le docteur Adolfo Maldonado, de l’organisation Action écologique et auteur de diverses études entreprises en 2000 au sujet des répercussions des fumigations sur la santé des paysans de la zone frontière, fait état de symptômes d’intoxication (...) et irritation des muqueuses qui se manifestent de façon généralisée parmi les populations concernées par les fumigations et dans la période qui les suit. Il indique également que ses analyses font la preuve d’altérations génétiques dans le sang des femmes de la région frontalière. Ce médecin a réalisé, sur les plantes du territoire frontalier équatorien, une étude qui a révélé des changements dans leur composition chimique susceptibles d’être attribués à l’introduction d’agents tels que le glyphosate.
« Maintenant, au lieu d’attendre qu’il y ait d’autres fumigations en Equateur, la Commission scientifique bilatérale devrait faire des contrôles directement en Colombie où, depuis plusieurs années, on pratique des fumigations en territoire habité », a conseillé Maldonado qui a dénoncé l’ambiguïté du processus mis en place par le ministère et mis en cause l’impartialité de celui-ci sur le sujet « Ce problème est politique et sa solution devra être politique » a conclu le médecin.
Pour le député de Sucumbíos, Julio Gonzalez, il n’y a aucun doute : « Les fumigations provoquent un déséquilibre environnemental, portent atteinte à la santé et génèrent de la pauvreté, ont des conséquences sur les relations commerciales entre les populations voisines. On a engagé l’Etat équatorien dans le Plan Colombie et cela nous entraîne dans un cheminement sans fin, nous ne savons pas quelle en sera la conclusion pour le pays » a ainsi critiqué le député du mouvement d’opposition Nuevo Pais qui considère que la Commission scientifique constituée par le ministère manque de crédibilité. « La décision est politique, Gutierrez (le président équatorien) investit pour militariser alors que ce dont on a besoin c’est d’aide sociale. Le choix est dicté par les pressions exercées par les gouvernements états-unien et colombien et Gutierrez s’est proclamé le meilleur allié de Bush et Uribe. »
L’institutrice Narcisa Trujillo a fait présenter des dessins de ses élèves aux membres de la Commission. Les dessins d’enfants représentent des avions et des hélicoptères en train de lancer des pluies d’herbicide sur l’école, les maisons et des animaux morts dans l’enceinte de Nuevo Mundo.
« Jusqu’à la dernière fumigation, celle de juillet 2003, les avions et les hélicoptères sont passés directement au dessus de l’école, en enfumant les espaces de jeu des enfants. Ces derniers ont présenté des symptômes de fièvre, nausées et éruptions cutanées. » Des dessins réalisés par les élèves de différentes écoles de la zone frontière ont été recueillis par les enseignants et présentés dans l’amphithéâtre du tribunal provincial électoral pour témoigner des expériences vécues par les enfants de la zone frontalière.
« Les enfants n’ont pas peur de faire leurs dessins mais il existe une crainte parmi la population qui l’empêche de s’exprimer sur son expérience des fumigations » a dit Mariela Pinto, présidente des enseignants de l’Union nationale des éducateurs (UNE) de Sucumbíos. La syndicaliste dénonce les fermetures d’écoles dans la zone frontalière car elle soupçonne là un plan de dépeuplement de la part du gouvernement afin que les colons s’en aillent sans indemnisation de la zone. (...)
« Il faut être clair, commente le colon Henrique Guáman dans sa petite maison de Puerto Nuevo. Ceci est un plan de guerre de la Colombie, des Etats-Unis et de l’Equateur. Auparavant, on n’avait jamais eu ici des problèmes de sécurité. »
Tout en contemplant l’étroit fleuve San Miguel à travers lequel circulent constamment les barques de ses voisins colombiens vers l’Equateur, Guaman nous dit : « Avec les Colombiens nous sommes comme des frères, nous partageons tout dans tous les domaines : commerce, sports, mariages. Si nous avons des problèmes, c’est à cause des fumigations qui perturbent le travail et la santé des paysans et à cause de la présence militaire qui perturbe le commerce. »
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2734.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : ALAI, 2 mars 2004.
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