Accueil > Français > Dial, revue mensuelle en ligne > Archives > Années 2000-2009 > Année 2004 > Juin 2004 > AMÉRIQUE LATINE - Les grandes évolutions
DIAL 2728
AMÉRIQUE LATINE - Les grandes évolutions
Plinio de Arruda Sampaio
mardi 1er juin 2004, mis en ligne par
Au cours du Forum organisé par DIAL à Lyon les 23 et 24 avril 2004 sur les alternatives latino-américaines, Plinio de Arruda Sampaio prononça devant quelque trois cents personnes la conférence publique prévue sur les grandes évolutions de l’Amérique latine. C’est le texte de cette conférence que nous publions ci-dessous intégralement. Plinio de Arruda Sampaio est consultant international sur les problèmes de développement rural et de réforme agraire. Il a connu l’exil au temps de la dictature, a été plusieurs fois député, et a été également membre de la Commission brésilienne Justice et Paix. Il demeure un conseiller apprécié des partis et mouvements de la gauche brésilienne. L’an passé, il a été chargé d’élaborer le projet de réforme agraire du Brésil à la suite d’un accord entre le président Luiz Inácio Lula da Silva et le Mouvement des sans-terre.
Les mots évolution et involution font référence à une transformation : on passe d’une situation à une autre situation. Généralement, évolution a une connotation positive : ce mot décrit une succession prévue dans l’ordre naturel des choses ; à l’inverse, involution renvoie à l’idée de régression.
Pour qualifier les transformations de la situation économique, sociale et politique d’un pays ou d’un continent, on doit partir d’une date initiale. Pour l’analyse des « grandes évolutions » de l’Amérique latine, l’an 1980 est une date appropriée.
Pendant ces vingt ans, le continent a expérimenté de grandes transformations positives – il a évolué – et de grandes transformations négatives – il a aussi involué.
***
I - Du coté de l’involution, on doit premièrement remarquer la transformation de l’économie continentale
Dès les années 20 du XXème siècle, jusqu’en 1980, les économies les plus développées du continent – Brésil, Argentine, Mexique, Colombie, Chili – ont subi un important processus de transformation. Initialement économies exportatrices de denrées agricoles et de minéraux, elles se sont transformées en économies industrielles. Certaines d’entre elles ont même eu une performance remarquable.
Le Brésil, par exemple, a construit, de 1930 à 1980, une structure industrielle complète, comprenant toutes les branches de l’industrie : biens de consommation, biens de production intermédiaires et biens de base.
La crise du capitalisme des années 70 et l’offensive néolibérale des années 80 ont frappé mortellement ce processus. La croissance économique s’est arrêtée, des branches complètes de la production industrielle ont été éliminées et les industries les plus rentables ont été vendues au capital étranger.
Stagnation, désindustrialisation et dénationalisation ont marqué l’involution de l’économie brésilienne depuis 1980.
Les études de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine) démontrent que le phénomène s’est reproduit, avec de petites variations, dans tous les pays du continent. Depuis 1997, le PIB per capita a été négatif (-1,7%).
La conséquence inévitable de cette involution a été le brutal chômage (10,7% en moyenne), et surtout un chômage d’une nouvelle qualité : maintenant, quand un établissement industriel ou commercial licencie un ouvrier, son poste de travail est éliminé. Le travailleur est remplacé par un « robot ».
Le chômage, qui frappe si terriblement l’ouvrier urbain de tous les pays du continent, frappe aussi le travailleur rural. Une modernisation technologique irrationnelle et irresponsable a réduit l’emploi et augmenté les coûts de production en devises étrangères. Le petit entrepreneur agricole n’a pas de possibilité de payer ces coûts. Ils sont fixés par les monopoles qui contrôlent la commercialisation des engrais et les prix payés aux producteurs. Des milliers de petits producteurs ont abandonné l’agriculture et émigré dans les villes parce que les prix de vente de leurs produits ne couvraient pas les coûts.
Les formes précaires de travail - le travail des enfants, le travail à la journée, le travail des posseiros [1] - et les activités illégales (prostitution, tourisme sexuel, jeux de hasard, commerce de stupéfiants) ont augmenté.
Les exportations ont augmenté, mais n’ont pas provoqué une augmentation du PIB à cause des politiques de stabilisation et d’ouverture commerciale désastreuses, qui sont responsables de la désintégration de beaucoup de filières productives et des systèmes locaux d’innovation technologique. Le besoin d’exporter, qui s’est accru avec le modèle néolibéral, a eu aussi un autre effet dramatique : la dévastation des forêts. Selon le dernier rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), les grandes compagnies forestières sont les principales responsables de la destruction de 470 000 km2 de forêts originales.
II - L’involution de l’économie est la cause directe d’une rapide involution sociale
La violence (urbaine et rurale) a augmenté exponentiellement. Des villes comme Buenos Aires, autrefois connues par la sécurité de ses rues et places, semblent avoir aujourd’hui le même destin que São Paulo, Rio de Janeiro, Ciudad de México, Medellin et plusieurs autres.
La production et le commerce de drogue sont devenus des formes principales de subsistance pour les populations rurales en certaines régions de Bolivie, Pérou et Colombie. Les routes de la drogue parcourent tous les pays du continent. Dans les grandes villes, le transport et la vente au détail de stupéfiants constituent, actuellement, le seul moyen de vie pour des milliers de jeunes gens entre 10 et 18 ans qui habitent les bidonvilles.
L’avalanche néolibérale a provoqué la privatisation des entreprises d’Etat. Elles ont été vendues aux capitaux privés nationaux et étrangers à des prix inférieurs. Cela a donné lieu à une monstrueuse corruption, qui a fait apparaître, du jour au lendemain, une poignée de milliardaires sans aucun sens éthique. Le besoin de blanchir l’argent de la corruption est aujourd’hui une des causes de l’expansion de nombreuses activités illicites qui ont proliféré dans tous les pays du continent.
Un des effets le plus nocifs de la privatisation a été l’élévation continue des tarifs des services publics privatisés ; l’autre effet pernicieux a été l’augmentation de la dépendance des pays du continent envers le système international du capitalisme.
Le concubinage du gouvernement avec les entreprises privées – inhérent au modèle néolibéral – a eu l’effet de faire grandir la corruption. Comme en Europe et aux Etats-Unis, les chaînes de télévision présentent quotidiennement au public le même défilé de PDG pleins d’escroquerie, qu’on regarde à la télévision européenne ou nord-américaine. L’impact de cette corruption a un effet dévastateur sur le moral de la population et peut même expliquer l’apathie politique de la grande majorité.
III - D’une situation très mauvaise à une situation meilleure
Ce tableau épouvantable doit être confronté à l’autre face de la réalité continentale : la transition d’une situation très mauvaise vers une situation meilleure – ce qui veut dire : les grandes évolutions des dernières années.
Les années 80 et 90 du siècle dernier ont été des années de grandes évolutions sur les plans politique, social et culturel.
Les dictatures militaires, auxquelles étaient soumises les populations de presque tous les pays, pendant les années 70, ont été remplacées, au cours des années 80 et 90, par des régimes démocratiques. Ainsi cessa la répression politique brutale qui a emprisonné, exilé, torturé et assassiné des milliers de personnes.
Evidemment, quand on parle de démocratie en Amérique latine, on doit employer ce mot avec réserve, parce qu’on ne peut pas considérer vraiment démocratiques des sociétés qui acceptent l’exclusion économique, sociale et politique de la majeure partie des habitants du pays. En tout cas, ces « démocraties limitées » ont réduit la répression politique. Ainsi, aujourd’hui, les activités de propagande politique, formation de syndicats, manifestations de masse se réalisent librement.
La répression s’exerce actuellement sur les paysans qui s’emparent de terres abandonnées par leurs propriétaires ; sur les Indiens qui défendent leurs terres ; sur les habitants des bidonvilles – harassés d’une part par les gangs et d’autre part par la police ; sur les pauvres mis en prison, qui souffrent la torture comme méthode – illégale, mais tolérée - d’aveu de crimes. Dans le cas de ces catégories de personnes, rien n’a changé : c’est la même répression de toujours.
Cependant, cet embryon d’organisation démocratique a été suffisant pour permettre la création d’une opinion publique qui a abouti à des résultats très encourageants. Un exemple : la mobilisation populaire contre l’ALCA (Aire de libre commerce des Amériques) – un projet très nocif pour les économies latino-américaines, mais sur lequel les Etats-Unis exercent un forte pression pour son approbation. Au Brésil, les Eglises chrétiennes et les mouvements syndical et populaire ont réalisé, sous leurs seules responsabilités, un plébiscite informel au sujet de l’ALCA. Dix millions de personnes ont voté contre l’Accord. Dans presque tous les autres pays du continent des manifestations populaires semblables ont été organisées.
Un des fruits de ces efforts est le résultat surprenant de la conférence de l’Organisation mondiale de commerce (OMC), réalisée à Cancún (Mexique) en septembre 2003. Sous le leadership des représentations de l’Argentine et du Brésil, les délégués de pays sous-développés ont refusé la proposition nord-américaine sur le commerce extérieur. C’est la première fois dans l’histoire des forums internationaux que les pays sous-développés osent s’unir et résister aux pressions divisionnistes des pays développés. Sans doute, on peut voir dans cet épisode une évolution qui ouvre une nouvelle alternative de négociation pour les diplomates du tiers-monde.
La victoire du peuple du Venezuela
Au niveau politique, il faut remarquer aussi la victoire du peuple du Venezuela. Ce pays, 5ème producteur de pétrole du monde, a été gouverné pendant 40 ans par un système de deux partis, loué comme un système démocratique, mais en fait totalement oligarchique et soumis aux intérêts nord-américains. L’AD (Action démocratique) et le COPEI (nom du Parti démocrate chrétien du Venezuela) ont dilapidé les revenus du pétrole et maintenu la majorité de la population dans la pauvreté. La réaction populaire est venue avec l’élection de Hugo Chávez – un militaire, qui, en 1992, commanda une tentative de coup d’Etat. Chávez est un leader typiquement populiste. Il s’adresse directement aux masses populaires à la manière paternaliste des anciens caudillos comme Perón et Vargas. Il n’est pas encadré par des structures partisanes solides et l’on pensait que c’était là son « talon d’Achille » : l’incapacité des masses populaires à le soutenir aux moments de crise du système.
Cependant, quand la droite vénézuélienne, avec l’appui des Etats-Unis, essaya un coup d’Etat et arrêta Chávez, les masses populaires des bidonvilles de Caracas, à la surprise de tous, n’ont pas permis la destitution de Chávez. Sans aucun mot d’ordre centralisé, elles sont descendues des bidonvilles perchés sur les montagnes qui entourent la ville de Caracas vers le centre de la ville et ont forcé la libération du président.
Les conséquences de cette formidable évolution politique ne se sont pas encore manifestées entièrement, mais elle représente une réalité nouvelle qui, dans le futur, ira bouleverser le tableau politique non seulement du Venezuela, mais aussi des autres pays du continent.
Certes, les réactionnaires vénézuéliens n’ont pas renoncé à leurs objectifs. Avec l’aide nord-américaine, ils essayent maintenant de déposer Chávez à travers un plébiscite. On ne peut prévoir le résultat de cette manœuvre. Toutefois, dans la perspective des grandes évolutions de l’Amérique latine, ceci n’est pas le principal aspect de la question. Ce qui importe réellement est le changement de l’attitude des masses populaires en face des oligarchies dominantes : ce changement signale la fin de la séculaire subordination des masses populaires aux élites dirigeantes.
Bolivie, Equateur : l’irruption des masses populaires indiennes
Bolivie et Equateur ont protagonisé un autre exemple de l’irruption des masses populaires dans le scénario politique latino-américain. Dans ces deux pays, les Indiens ont réussi à destituer les présidents de la République, par le moyen de grandes manifestations de masse. C’est dommage que ceux qui ont remplacé les destitués n’aient pas fait honneur à leurs engagements au regard des Indiens. Mais ces trahisons n’annulent pas l’importance du changement d’attitude de la population indienne, qui constitue la majorité de la population des pays des Andes.
L’autre aspect à signaler dans l’irruption bolivienne et équatorienne est la force de la culture indienne : ces descendants des Incas, dominés depuis 500 ans, privés de leurs terres et de leurs richesses, ont découvert dans leur culture une référence d’identité commune et de lutte pour leurs droits. L’irruption a montré aussi une nouvelle réalité : dorénavant les leaders de la minorité blanche des pays des Andes seront obligés de négocier avec des leaders indiens de grande capacité politique.
Le bilan de l’évolution politique du continent latino-américain enregistre aussi trois victoires populaires importantes : Mexique, Argentine et Brésil.
Des changements au Mexique, en Argentine et au Brésil
Au Mexique, l’aspect important n’est pas la victoire de l’inexpressif Vicente Fox, ex-président de la filiale de Coca Cola du pays, mais la défaite du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) – le parti qui gouverna le pays pendant 70 ans. Au cours de ces années, le PRI, un parti issu de la révolution mexicaine, s’est transformé en une machine politique corrompue et violente. Sa défaite ouvre la possibilité d’oxygéner la politique mexicaine et par conséquent de faire justice à la population indienne dominée depuis 500 ans.
Il faut remarquer la contribution des Indiens du Chiapas à cette évolution positive. Sans la notable rébellion zapatiste du Chiapas, probablement le PRI aurait élu son candidat. La simple nouvelle de la rébellion a fait plonger la monnaie mexicaine, dénonçant d’un seul coup le grand mensonge du succès du modèle néolibéral et la formidable corruption du PRI.
En Argentine, Gustavo Kirchner, gouverneur presque inconnu de la province la plus extrême du sud du pays, a imposé une terrible défaite à la droite argentine et au péroniste Carlos Menen. Ce résultat n’aurait pas été possible si les masses populaires des bidonvilles de Buenos Aires n’avaient pris les rues et places du centre ville, en hurlant : « que se vayan todos » (que tous les politiques soient expulsés de leurs postes). En fait, elles ont transformé le centre de Buenos Aires en une sorte de « Paris de la Terreur » (quoique sans guillotine) épouvantant les classes moyennes, qui ont décidé d’abandonner les politiciens traditionnels et de voter pour un candidat inconnu mais qui parlait un langage accessible au peuple.
Au Brésil, la grande évolution politique fut l’élection de Lula - une victoire populaire incontestable. Cependant la performance du gouvernement pendant la première année du mandat est aujourd’hui motif de grande préoccupation pour la gauche. Il n’a réalisé aucune de ses promesses de campagne. Inversement, il a approfondi la désastreuse politique néolibérale du président Cardoso : récession économique, chômage affreux, réduction des droits des retraités, détérioration de l’infrastructure et des services publics.
Pour aggraver la situation, le gouvernement est pratiquement paralysé en ce moment, tous ses efforts étant concentrés sur des manœuvres politiques pour éviter une Commission parlementaire d’investigation (CPI) à propos d’un cas de corruption administrative qui atteint un des membres du staff du ministre secrétaire de la présidence.
Ce problème a aggravé la crise interne qui déchire, depuis quelques années, le Parti des travailleurs (PT) – seul vrai soutien du gouvernement Lula. La situation peut être qualifiée de dramatique : beaucoup de militants (parmi eux certains très en vue politiquement) ont déjà abandonné le parti. D’autres n’ont pas pris cette attitude extrême, mais sont profondément insatisfaits. Les sympathisants du parti, surtout dans les milieux intellectuels et artistiques, sont tous perplexes avec le virage spectaculaire d’un parti qui s’est caractérisé, pendant vingt années, par une irrépréhensible cohérence.
Pendant la campagne électorale, Lula a apposé sa signature au bas d’un document où il s’engageait à faire honneur aux contrats signés par le président Cardoso. Ce fut un piège qui l’a plongé dans la position d’otage de cette nouvelle arme du colonialisme : le marché financier international.
La dette externe étouffe l’économie brésilienne et transforme la crédibilité envers ce marché en une obsession de Lula et de son équipe économique. C’est vraiment un gouvernement assiégé.
Au PT, il y a ceux qui ne croient plus à la possibilité de sortir de cette situation. S’ils ont raison, cela veut dire que la victoire électorale s’est transformée en défaite des masses populaires. Toutefois, cela ne retire rien à l’importance de l’élection de Lula, parce qu’à ce sujet, ce qui importe à long terme est le fait que les masses populaires, pour la première fois au Brésil, ont battu l’élite dirigeante. Elles ont appris le chemin. Si elles ont perdu cette fois, elles peuvent vaincre demain.
IV - Sur le plan culturel, vingt années d’évolution positive
Sur le plan culturel, la situation est tout autre. Ici, il n’y a pas d’ambiguïté. Ces vingt années ont témoigné une vraie évolution. Elle se manifeste surtout à travers la croissance de la conscience humaniste, universaliste et écologique des populations latino-américaines.
Dans tous les pays du continent pullulent les Commissions des droits humains, de Justice et paix, de Protection des enfants, de revendication des droits des citoyens. Parmi ces mouvements on doit signaler les organisations écologiques, qui mènent un combat permanent contre les attaques du capital à l’égard de l’équilibre écologique.
A côté de ces mouvements, qui sont plutôt des mouvements de classes moyennes, on doit signaler les mouvements populaires - peut-être l’évolution la plus importante observée en Amérique latine aux cours de ces deux derniers siècles. Aujourd’hui, dans tous les pays latino-américains, presque toutes les couches sociales sont organisées ou sont en train de s’organiser. Même les segments les plus marginalisés – ceux qui n’ont pas de place dans l’économie formelle – commencent à créer leurs propres organisations économiques, sociales et de pression politique. Les barrios en pie (banlieues sur ses pieds) à Buenos Aires, les sans-logis à Rio de Janeiro et São Paulo ; les cercles bolivariens à Caracas, les peuples de la forêt, les cortadoras de castanhas, le mouvement contre la privatisation des services d’approvisionnement d’eau en Bolivie, et beaucoup d’autres, sont tous des phénomènes de ces dernières années. Ils manifestent une prise de conscience des droits des citoyens et de l’efficacité de la pression organisée des masses populaires.
Sans doute, le succès spectaculaire du Forum social mondial n’aurait pas été possible, si l’initiative n’était pas appuyée par une myriade d’organisations populaires.
A la campagne, le Mouvement des sans-terre (MST) est, sans doute, l’organisation la plus polémique et la plus combattue par la droite réactionnaire. Pas de surprise : l’action du MST atteint directement les remparts de la domination des couches propriétaires sur les masses populaires. Depuis la période coloniale, l’origine du pouvoir économique et du pouvoir politique au Brésil est le monopole de la terre. Un seul chiffre dit tout : au Brésil, 1,7% des propriétaires contrôlent 43% des terres. Peut on imaginer 1,7% des propriétaires contrôlant une superficie égale à 180 millions d’hectares en France ?
Bien que le développement du capitalisme ait réduit l’importance de la production agricole pour le PIB brésilien, la propriété de la terre reste la principale source du pouvoir économique dans le milieu rural. C’est le premier anneau de la chaîne de pouvoir qui maintient jusqu’à aujourd’hui une petite couche de personnes très riches au commandement du pays.
Le modèle d’organisation du MST a influencé plusieurs organisations paysannes, comme le MPA (Mouvement des petits agriculteurs) ; le MAB (Mouvement des agriculteurs déplacés par les barrages) ; les Femmes agricultrices et beaucoup d’autres.
Les principales caractéristiques de ce modèle d’organisation populaire sont la « politisation » et la « pensée critique ». Sur cet aspect, le MST se distingue des mouvements corporatifs. Il ne se limite pas à revendiquer les droits que le système dominant nie aux paysans. Il met en procès le système lui-même. Il refuse l’idée – aujourd’hui hégémonique dans les milieux académiques de droite - que la dépopulation de la campagne soit un signe de développement. Pour le MST, le milieu rural n’est pas uniquement un espace d’accumulation de capital, mais un espace de vie en plénitude pour des millions de personnes. Cela explique l’importance que le mouvement attache à l’éducation des enfants et à la préservation de la culture paysanne.
V - Une forte note d’espoir
C’est pourquoi, en dépit du panorama sombre d’aujourd’hui, on peut conclure cette analyse avec une forte note d’espoir.
De même que nous avons reculé de deux décennies pour évaluer les grandes évolutions du continent, on peut imaginer le poids qu’aura cet ensemble d’organisations populaires dans l’organisation de l’économie et du pouvoir politique des pays du continent pour les deux prochaines décennies.
Les masses populaires de l’Amérique latine commencent à discerner leurs vrais ennemis, leurs vrais problèmes, les vrais solutions à ces problèmes, et le prix à payer pour elles. C’est cela sans doute, la plus grande évolution : l’évolution de la conscience des masses – certainement encore embryonnaire, mais effective.
Les semences de libération sont maintenant des petites plantes. Bientôt, ce seront de grands arbres à l’ombre desquels s’abriteront les peuples de l’Amérique latine.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2728.
– Traduction Dial.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.
[1] Paysans travaillant sur des terres qu’ils ont défrichées mais sur lesquelles ils n’ont pas de droits juridiquement reconnus.