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DIAL 2725 - Dossier : Cultures transgéniques en Amérique latine

MEXIQUE - Le Manifeste paysan et indigène de Oaxaca : Défendre notre maïs, protéger la vie

Organisations paysannes, indigènes et sociales de Oaxaca

dimanche 16 mai 2004, mis en ligne par Dial

La culture de variétés transgéniques, essentiellement de maïs et de soja, est déjà répandue dans certains pays d’Amérique latine. C’est, par exemple, le cas de l’Argentine en matière de soja. D’autres pays ont décidé l’interdiction de ces cultures, tel le Guatemala et le Venezuela. Dans d’autres encore, les variétés transgéniques sont tolérées, parfois de façon provisoire pour régulariser une situation antérieure comme c’est le cas au Brésil et au Paraguay, ou sont accompagnées de mesures nettement restrictives. Partout le débat a lieu sur la nocivité ou l’inocuité éventuelle de ces cultures pour la santé humaine et la biodiversité. Nous publions plusieurs dossiers relatifs aux cultures transgéniques en Amérique latine aujourd’hui. Des articles particuliers sont consacrés au Mexique [1] et au Brésil [2] et des informations concernant divers autres pays ont été regroupés dans le dernier dossier [3].


C’est ici dans cette partie du monde qu’est né le maïs. Nos ancêtres l’ont cultivé. Grâce au maïs, ils se sont nourris, tout en forgeant une des grandes civilisations de l’histoire. C’est sur notre terre que se trouve la demeure la plus ancienne du maïs. C’est de ce lieu de l’univers qu’il est parti pour toutes les régions du monde.

Nous sommes le peuple du maïs. Le grain est notre frère, fondement de notre culture, réalité de notre présent. Il est au centre de notre vie quotidienne. Il ne peut manquer à notre régime alimentaire et il constitue le quart des produits que nous achetons dans les boutiques. Il est le cœur de la vie rurale et un ingrédient indispensable dans la vie urbaine.

Nous sommes le peuple du maïs. Et nous le sommes à contre-courant, dans une lutte continue contre les vents dominants. Les savoirs des paysans et des indigènes sur le maïs ont été continuellement méprisés, réprimés et oubliés, provocant ainsi la disparition d’innombrables variétés indigènes de maïs, qui étaient le fruit de la patiente expérimentation de nos ancêtres. De nombreux paysans ont été poussés à la honteuse dépendance des hybrides.

Plus d’une fois, sous diverses politiques, on a cherché à nous faire abandonner la culture du maïs. On veut que, au lieu de le produire sur notre terre et de nos propres mains, il soit importé des Etats-Unis, où on le sème pour les porcs et pour l’industrie, et non pas pour les personnes.
La politique officielle aveugle ne prend pas en considération que, pour nous, le maïs est plus qu’une céréale. Il est le résumé de notre passé, définit notre présent et il est la base de notre propre avenir. Nous mangeons le maïs, mais il n’est pas que nourriture. Il est l’occasion de fête, d’échange, de convivialité, d’aide mutuelle. Il est notre vie. Le maïs est au centre de notre culture, avec son caractère sacré. Et nous ne voulons pas qu’il en soit autrement.

Défendre le maïs nous invite à être envers lui comme nous l’avons toujours été, non pas comme les grandes entreprises veulent que nous soyons. Défendre le maïs veut dire sauver la terre, le soleil, l’eau, le vent. Ne pas faire de tort à ce qui l’entoure.

Lorsque les maïs génétiquement modifiés, les transgéniques, ont fait leur apparition, l’interdiction de les semer prise au Mexique en 1998 nous a paru très sage. Comme l’avaient indiqué à ce moment-là les responsables scientifiques, il fallait être prudent. Le gouvernement, cependant, les a introduits en catimini, par le biais de ses importations. Et c’est ainsi qu’a débarqué parmi nous, dans notre sierra de Juàrez, la première contamination de maïs transgénique. On a bien vite constaté que d’autres Etats étaient aussi sous risque.

Le centre mondial de l’origine et de la diversité du maïs est aujourd’hui en péril. La prodigieuse richesse génétique générée ici par le patient dialogue qui s’est maintenu pendant des millénaires entre la plante et l’homme risque d’être perdue.

Les grands menteurs du marché ou de l’Etat apparaissent parfois au milieu de nous, déguisés en chercheurs de nouvelles technologies ou en spécialistes désireux d’améliorer les cultures. Ils disent que nos semences sont déficientes et que notre façon de cultiver est inappropriée. Ils veulent que nous achetions leurs semences et apprenions leur façon de tuer le maïs et la terre. L’heure est venue de dire : ça suffit ! Nous ne le supportons plus ! Nous ne permettrons pas que les dommages se creusent et que les risques augmentent.

Nous ne rejetons pas l’expérimentation. Nous l’avons pratiquée pendant des milliers d’années. Nous sommes intéressés par le changement, mais pas par celui qui pousse à des formes de culture qui détruisent au lieu de conserver. Nous rejetons l’action commerciale, obsédée par le profit. Elle détruit la terre, affaiblit le tissu social et culturel de nos peuples et bouleverse la relation entre les personnes. Nous luttons pour conserver les maïs qui durant des milliers d’années se sont plu à vivre dans les climats, les hauteurs et les sols de nos terres et partagent l’esprit de nos communautés…

A Oaxaca il n’y aura pas de transgeniques

Nous avons écouté avec patience les scientifiques qui les défendent. Mais nous n’en pouvons plus. Les risques les plus graves dans l’utilisation des transgéniques sont à long terme. On n’a pas laissé passer assez de temps. Il n’existe, par conséquent, aucune étude sur le long terme. Tout ce qui est dit actuellement sur leurs effets est pure spéculation. En outre, ils ne respectent pas le principe de précaution, ils manipulent l’information et se servent d’arguments mensongers et insensés. Le pire, pour nous, est qu’ils se moquent éperdument de l’immense dommage culturel que leurs expérimentations peuvent causer. Nous ne les écouterons plus.

Nous continuerons dans la lutte legale

Nous continuerons d’articuler notre effort avec celui des autres, à l’intérieur et à l’extérieur du Mexique, pour employer tous les recours légaux à notre portée.

Nous veillerons à ce qu’il soit interdit de semer et d’importer du maïs transgénique, qu’un nouveau cadre légal soit formé sur la sécurité biologique, qui puisse protéger la santé des animaux et des hommes de toute contamination transgénique et garantir la diversité biologique et culturelle. Pour le moment, nous lutterons contre le rapport que le Sénat à envoyé à la Chambre des députés, que nous considérons inacceptable.
Nous veillerons à ce que soient arrêtées toutes les importations de maïs, qu’il soit obligatoire d’informer nos peuples et de les consulter pour tout programme public ou privé « d’aide technologique » que l’on cherchera à appliquer, et que soit décidée une action, en accord avec les communautés concernées, pour éviter que s’étende la contamination des transgéniques.

Nous avons vu avec tristesse le comportement irresponsable des autorités. Nous avons constaté :

 qu’elles violent la Constitution, les lois, les accords et les traités internationaux…

 qu’elles ne voient ni n’écoutent la clameur de la société civile et des scientifiques indépendants,

 qu’elles sont en train de faire le sale travail des entreprises et des pays qui ont intérêt à vendre des transgéniques, sans se soucier de l’intérêt des peuples et des nations. Nous ne pouvons attendre davantage. La menace grandit. La contamination augmente.

Nous passerons a l’action directe

La dignité des peuples indiens est contagieuse. A Oaxaca, ils ont obtenu un nouveau cadre légal et ils exercent, même si c’est avec des tensions et des difficultés, leur splendide autonomie et l’unique souveraineté légitime, celle du peuple, pour défendre ce que nous sommes, pour défendre notre maïs.

Nous allons développer les semis de nos maïs indigènes de toutes les couleurs. Nous le ferons dans les champs de maïs que nous avons toujours cultivés, en les associant avec des haricots, des courges et d’autres légumes et plantes. Nous continuerons de choisir nos variétés et nous formerons notre propre banque de semences, que nous partagerons avec d’autres peuples. Nous ferons aussi nos propres traitements pour les champs de maïs, en les renforçant avec nos pratiques traditionnelles, et en même temps nous ferons campagne contre l’usage d’engrais chimiques.

Il n’y aura pas de transgeniques sur nos territoires

Nous livrerons la bataille qu’il faudra, sous forme pacifique et démocratique, dans chaque communauté, dans chaque quartier, dans chaque village. Nous lançons un appel à la rébellion légitime, non à la révolte. Nous lançons un appel pour faire valoir la force constituante que nous représentons, l’unique source légitime de pouvoir politique, devant l’irresponsabilité des pouvoirs constitués. Nous vous invitons, tous et toutes, à Oaxaca, pour protéger notre maïs, notre mode de vie et notre culture.

Nous demandons la solidarité et l’appui de tous ceux qui livrent, dans d’autres parties du Mexique et du monde, une lutte semblable à la nôtre, pour que s’étendent de plus en plus les territoires libérés des maïs transgéniques.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2875.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Organisations paysannes, indigènes et sociales de Oaxaca, 19 mars 2004

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