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DIAL 2602

ÉQUATEUR - Un nouveau président

Sally Burch

dimanche 1er décembre 2002, mis en ligne par Dial

Le colonel en retraite Lucio Gutiérrez a été élu le 24 novembre président de l’Équateur. Le 21 janvier 2000, il avait participé au coup d’État, soutenu par les populations indigènes, qui avait éloigné du pouvoir le président Jamil Mahuad. Plusieurs analystes estiment qu’après l’élection de Luiz Inácio Lula da Silva au Brésil, cette seconde élection d’un président de gauche - sans compter la présence, il est vrai de plus en plus controversée, de Hugo Chávez au Venezuela - pourrait être un signe annonciateur d’un changement possible en Amérique latine. Ci-dessous, un article de Sally Burch paru dans ALAI/America Latina en Movimiento du 25 novembre, et des extraits d’un entretien avec Lucio Gutiérrez.


Avec un avantage de 8,7 % des votes valides, Lucio Gutiérrez a été élu président de l’Équateur le 24 novembre. Le candidat gagnant, qui assumera la présidence le 15 janvier prochain, a réaffirmé que son gouvernement se formerait sur la base de l’alliance qui a soutenu sa campagne, composée du parti qu’il a fondé il y a douze ans, la Société patriotique 21 janvier (SP21) et le Mouvement de l’unité plurinationale Pachakutik-Nouveau pays (MUPP-NP).

Le candidat rival, le chef d’entreprise de Guayaquil Àlvaro Noboa du Parti rénovateur institutionnel Action nationale (PRIAN), héritier de l’empire bananier Noboa et considéré comme l’homme le plus riche du pays, a perdu pour la seconde fois consécutive au deuxième tour des élections (en 1998 il avait été le rival de Jamil Mahuad), nonobstant une campagne populiste, avec un grand gaspillage de cadeaux pris sur sa propre fortune, dans laquelle il a essayé d’exploiter la rivalité régionale entre la Costa et la Sierra et de disqualifier son opposant en raison de l’appui reçu de la part d’un parti considéré comme radical.

L’appel au vote nul de quelques secteurs politiques, comme également d’une partie des intellectuels se déclarant progressistes, auquel certains éditorialistes ont fait écho, n’a pas obtenu beaucoup de réponse : le vote nul n’a pas atteint 11 % de la totalité des votes émis.

Pour le mouvement indigène, qui constitue l’axe de Pachakutik, le résultat représente une grande réalisation en même temps qu’un défi important. Fondé en 1995, Pachakutik s’est affirmé au cours des dernières années dans les administrations locales dont il a la responsabilité et grâce à sa présence au Congrès. Mais le résultat électoral actuel ne peut pas se comprendre sans la force mobilisatrice acquise au plan national par la Confédération des nationalités indigènes d’Équateur (CONAIE) qui a su, avec maturité, mener de pair des actions de révolte et de protestation et des propositions qui vont bien au-delà de ses intérêts sectoriels. Maintenant, le mouvement fait face aux défis de traduire ses propositions en programmes et en mesures, de l’intérieur même du gouvernement. Et des intérêts locaux ne manqueront pas d’essayer d’éloigner le président de la base sociale qui l’a conduit au pouvoir.

Appel à la convergence

Après avoir pris connaissance du résultat, le colonel en retraite Gutiérrez a lancé un appel pour que se forme une grande convergence nationale et il a annoncé que d’autres forces politiques, en plus de celles de l’alliance, pourraient trouver place dans son gouvernement.

Il a confirmé les quatre axes de son programme, qu’il avait fait connaître quelques jours auparavant, qui sont : le combat contre la corruption, grâce à des réformes ; la réduction de la pauvreté, avec une insistance sur l’investissement dans le domaine de l’éducation, de la santé et de la création de travail dans les secteurs non pétroliers comme l’agriculture et l’élevage, le tourisme et les mines ; le renforcement de la sécurité, dans cinq domaines : la sécurité sociale, citoyenne, juridique, environnementale et alimentaire ; et au plan économique, l’amélioration de la compétitivité du pays.

Pour améliorer la compétitivité, les changements annoncés par le président sont, premièrement, l’amélioration des services, surtout celui de l’énergie électrique, en invitant les investisseurs nationaux et étrangers à concourir pour obtenir la concession de projets hydroélectriques. Deuxièmement, il propose de baisser les taux d’intérêt, moyennant la baisse de l’inflation grâce à l’austérité fiscale et l’encouragement de la production ; troisièmement, réduire certains impôts et, quatrièmement, réduire les démarches bureaucratiques qui découragent la compétitivité.

Cependant, pour atteindre cet objectif, il devra négocier des alliances au Congrès, où le SP21 et le Mouvement Pachakutik n’ont pas la majorité. En effet, si les partis politiques traditionnels ont été les grands perdants depuis le premier tour des élections présidentielles, ils continuent d’être majoritaires au Parlement. Le parti qui a le plus grand nombre de députés est le Parti social-chrétien (PSC), dont le leader, l’ancien président León Febres-Cordero, se profile comme le prochain président du Congrès. Bien que le Parti social-chrétien n’ait appuyé officiellement aucune des candidatures du deuxième tour, on considère de façon non officielle que ses sympathies vont davantage du côté de Àlvaro Nobao que de Guitérrez. D’autres groupes importants du Congrès sont la Gauche démocratique, qui s’est abstenue d’appuyer l’un ou l’autre des candidats en finale, et le Parti rodolsiste (PRE) d’Abdalá Bucarám, qui a soutenu Gutiérrez au second tour.

Le temps n’est pas favorable au nouveau gouvernement, car trois années de dollarisation ont signifié l’extension de la crise économique et non pas sa résolution, et une nouvelle crise comme celle de 1999 n’est pas écartée. De plus, le résultat électoral va entraîner des attentes en matière de programmes sociaux pour lesquels l’État ne peut compter que sur de faibles ressources.

***

Quelques propos de Lucio Gutiérrez

Il s’agit ci-dessous d’extraits d’un entretien accordé par Lucio Gutiérrez au Comité internationaliste Arco Iris, qui eut lieu quelques heures avant l’élection, et publié dans Rebelión internacional, 24 novembre 2002.

Différent de Chávez ?

« Je dirais que moi et Chávez nous sommes des personnes différentes. Je respecte la façon dont on gouverne au Venezuela, mais ici je veux donner la priorité à l’unité nationale. Je vais réaliser un gouvernement de convergence nationale, dans lequel il y aura des chefs d’entreprise honnêtes, de même que des banquiers honnêtes, et où seront également présents les mouvements sociaux progressistes. »

Le rapport aux populations indigènes

« Il faut que les indigènes soient inclus dans le développement social et économique de l’Équateur. Les indigènes ne demandent pas beaucoup, ils demandent des dispensaires médicaux, de l’eau potable, des égoûts pour leurs communautés. Et ceci est une obligation sociale du gouvernement à l’égard de nos indigènes équatoriens. En plus de cela, ils ont également des droits et des obligations comme tout autre Équatorien. Ainsi, j’ai l’intention de les inclure de manière totale dans le développement social et économique de l’Équateur. »

À propos de Pablo Neruda

« Il parlait beaucoup de l’homme, de la liberté de l’homme, de l’égalité dans les responsabilités, dans les droits. Il parlait beaucoup de ces sentiments, même romantiques, qu’a l’être humain. Et pour tout cela, pour que l’être humain accomplisse son idéal et continue de l’entretenir, il est fondamental qu’il soit inclus dans le développement social, économique d’un pays. Pour que l’Indien, pour que le Noir et pour que le métis soient normalement heureux, il faut leur donner une vie qui soit pour le moins normalement digne, alors qu’en Équateur 80 % du peuple n’a pas une vie normalement digne. En ce sens, je vais essayer de réduire les inégalités qui existent dans notre pays, spécialement chez les Indiens qui ont été les plus marginalisés, les plus exclus, les plus exploités depuis l’époque coloniale, c’est-à-dire depuis cinq cents ans. »

Les États-Unis d’Amérique latine et des Caraïbes

« Oui, je continue à rêver que, dans un futur proche, tout le continent américain puisse devenir une seule nation. Puisse le monde entier devenir un seul pays, avec une seule monnaie, une seule langue, avec des intérêts communs, disons-le, puissions-nous devenir libres comme le vent, comme les poissons de l’océan, comme les eaux de la mer qui n’ont pas besoin de visas pour aller d’une plage une autre, qui n’ont pas besoin d’autorisations pour traverser les frontières. Puisse un jour s’accomplir ce rêve. »


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2602.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ALAI/America Latina en Movimiento du 25 novembre 2002.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteure, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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