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DIAL 3025

NICARAGUA – « Jusqu’à quand ? » Doutes et questions à la veille des élections municipales du 9 novembre

Équipe Nitlápan-Envío

samedi 1er novembre 2008, mis en ligne par Dial

Depuis la réélection de Daniel Ortega à la présidence du pays, et son entrée en fonction le 10 janvier 2007, Dial a essayé de publier de façon régulière des articles sur la situation politique du Nicaragua et de présenter différents regards locaux [1]. À l’occasion des élections municipales du 9 novembre, nous publions un texte très critique rédigé par des membres de l’Institut Nitlápan et la rédaction de la revue Envío. Nous publierons dans les deux prochains numéros un long entretien avec Dionisio Marenco, maire de Managua jusqu’à janvier 2009 et militant du Front sandiniste de libération nationale depuis ses débuts.


Jusqu’à quand devrons-nous attendre pour que le gouvernement parle à l’ensemble de la société et écoute les critiques des médias sans les attribuer à des « guerres médiatiques financées par l’empire » ? Les élections résoudront-elles les tendances autoritaires du gouvernement ou, au contraire, les accentueront-elles ? Combien de temps devrons-nous encore attendre pour savoir à combien s’élève la coopération vénézuélienne et pour avoir un contrôle sur la façon dont ces ressources sont investies ? Jusqu’à quand la coopération internationale fera-t-elle preuve de patience face à la diplomatie de confrontation menée par le gouvernement ?

Il ne fait aucun doute que Daniel Ortega considère ces cinq années de gouvernement (2007-2011) comme une « transition » vers la période suivante, pendant laquelle, une fois réélu, il aura déjà consolidé son projet politique en gouvernant à la fois « d’en haut », fort des voix et des espaces obtenus grâce au pacte avec le Parti libéral constitutionnaliste (PLC), et « d’en bas », par l’entremise des structures territoriales des Conseils du pouvoir citoyen (CPC).

Les caractéristiques du projet d’Ortega, que révèlent déjà les nombreux signes et tendances observés en vingt mois, maintiennent la société nicaraguayenne dans l’attente et dans l’incertitude. Le discours officiel insiste pour dire qu’il s’agit de la « deuxième étape » d’une révolution qui fera justice aux pauvres et leur restituera les droits dont ils ont été privés par seize ans de néolibéralisme. L’opposition de gauche, quant à elle, met en garde contre une « dictature institutionnelle » en marche, et la droite traditionnelle voit dans le gouvernement actuel la réédition du modèle des années 1980.

La conception de la « transition »

À son retour au pouvoir, Daniel Ortega s’est fixé comme priorité d’obtenir le plus rapidement et le plus sagement possible une entente avec le Fonds monétaire international (FMI). Son équipe économique y est parvenue et Ortega s’est félicité à plusieurs reprises de ce succès, tout en défiant avec emphase le Fonds de quitter le Nicaragua parce que « nous n’avons pas besoin de lui », dans une énième scène de confrontation rhétorique. En réalité, le Nicaragua est lié jusqu’en 2010 avec le FMI par un accord similaire à celui qu’avait élaboré le gouvernement néolibéral d’Enrique Bolaños.

Dans la conception de la « transition » qui nous amènerait cinq ans après 2011, les CPC doivent assurer au gouvernement le contrôle social et alimenter les bases partisanes à grand renfort de clientélisme politique. Bien que le nombre de membres des CPC n’augmente pas autant que prévu, ces structures occupent une place centrale dans la structure politique. Sur le plan économique, le gouvernement d’Ortega semble avoir organisé la transition en comptant sur les ressources dérivées de l’accord avec le FMI et sur les fonds de la coopération internationale. À ces deux sources de revenus s’ajoute la coopération vénézuélienne, que le gouvernement gère déjà comme une « grande caisse » mais aussi comme une « petite caisse » permettant de financer à discrétion – hors budget – des projets familiaux et bon nombre de programmes sociaux destinés à gagner une base sociale et à consolider le pouvoir pour le prochain quinquennat.

Le gouvernement calcule qu’après la réélection d’Ortega en 2011, les ressources vénézuéliennes – ainsi que celles fournies par la Russie, l’Iran et peut-être d’autres pays pétroliers – pourraient jouer un rôle plus important que les fonds de la coopération internationale et du FMI, voire les remplacer.

Aucune pression du FMI sur le gouvernement…

Depuis un bon moment déjà, la coopération internationale oriente ses évolutions et ses décisions en fonction de l’aval qu’accorde le FMI aux gouvernements des pays pauvres avec lesquels le Fonds a déjà signé des accords. C’est ce qui explique la présence, dans le cas du Nicaragua, des 27 gouvernements et agences d’aide qui collaborent avec notre pays, en versant tout au long de l’année quelque 500 millions de dollars qui sont intégrés au budget national ou en finançant des projets d’investissement public d’envergure et d’importance variées.

Ce que nous avons pu constater, en près de deux ans de gouvernement du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), c’est que, sous prétexte de préserver la stabilité macroéconomique du Nicaragua, le FMI n’exerce plus aucune pression sur Ortega en matière de transparence dans l’utilisation des ressources.

Craignant que les agrégats de l’économie n’enregistrent une certaine déstabilisation, le FMI a cessé il y a plusieurs mois de réclamer au gouvernement qu’il inclue dans le budget de la République les fonds de la coopération vénézuélienne.

Il n’est fait aucun cas non plus des autres réclamations formulées par la communauté de la coopération à l’égard du gouvernement, même s’il est évident que le manque de contrôles indépendants sur l’utilisation des ressources vénézuéliennes affaiblit la gouvernabilité démocratique et favorise la corruption.

… Mais une pression du gouvernement sur les donateurs

Le fait que, pour la coopération, l’aval du FMI soit déterminant au moment de verser l’aide et de financer le budget semble avoir encouragé Daniel Ortega à laisser libre cours à une antipathie permanente envers la communauté internationale qui finance aussi bien les projets du gouvernement que ceux des ONG nationales.

Le Président et ses fonctionnaires ont soutenu des positions très négatives, en public comme en privé, face à des ambassadeurs et à des fonctionnaires de la coopération à différents niveaux. Le dialogue n’a pas été fluide et la capacité d’écoute s’est dégradée.

Le Président Ortega lui-même a qualifié péjorativement de « miettes » ces ressources, qui se comptent en millions, devant ceux qui collaborent avec le pays. Il est allé jusqu’à dénoncer l’« ingérence » de leurs suggestions et de leurs conseils sur la gouvernance démocratique, la participation citoyenne, la transparence dans l’utilisation des ressources et les droits des femmes.

Le scénario de confrontation, parfois agrémenté d’insultes grossières, a perpétué – et accentué – l’atmosphère hostile qu’avait entretenue avec les diplomates et les membres de la coopération l’ancien Président, aujourd’hui inculpé, Arnoldo Alemán.

La « diablesse » Eva Zetterberg

Le cas le plus récent de la « diplomatie » de l’insulte a eu lieu ce mois-ci [2], lorsque l’ambassadrice de Suède, Eva Zetterberg, terminait son travail au Nicaragua et faisait ses adieux au pays.

Au cours d’une interview sur une chaîne de télévision le 14 août, Zetterberg a déclaré, entre autres, que les justifications juridiques présentées par le Conseil électoral suprême pour annuler le Parti conservateur et le Mouvement de rénovation sandiniste, en leur interdisant de participer aux élections municipales de novembre, étaient « très difficiles à accepter ». Elle a également affirmé qu’elle « percevait des tendances très autoritaires dans le gouvernement », même si elle a refusé d’admettre l’existence en ce moment au Nicaragua d’« une dictature » et s’est dite « certaine que le peuple du Nicaragua ne se laisserait pas enlever la démocratie qui lui a tant coûté ».

Immédiatement, le gouvernement a ordonné à un groupe de femmes très pauvres des quartiers de Managua de se poster pendant des heures devant l’ambassade de Suède en répudiant Eva Zetterberg. « Si je disais dans son pays ce qu’elle a dit, je serais déjà sur la chaise électrique », a affirmé d’un ton convaincu l’une d’entre elles. Ces manifestations de harcèlement, qui n’ont rien de spontanées mais sont organisées par le gouvernement en mobilisant les CPC, sont en train de devenir une méthode peu convaincante de gouvernement « d’en bas ».

Zetterberg a été appelée à la Chancellerie, où elle a dû essuyer des reproches, et le vice-chancelier Manuel Coronel Kautz a expliqué aux journalistes ce qui se passait : « Une diablesse est venue mettre son nez dans nos affaires. » Il a généralisé le rôle de la coopération en ces termes : « Ces diables et ces diablesses qui viennent ici, qu’ils retournent dans leur pays et s’aspergent d’eau bénite. » Il a menacé de les déclarer « personæ non gratæ ». Ce n’était pas la première fois que ce fonctionnaire employait un tel langage. Les insultes et autres manifestations d’insolence, combinées à la sous-exécution et à l’inefficacité du gouvernement dans les projets d’investissement public financés par les ressources de la coopération – dues en partie au centralisme excessif qui caractérise le gouvernement –, ont attisé l’irritation de la communauté de la coopération.

Jusqu’à quand ?

Jusqu’à quand la communauté de la coopération restera-t-elle « indécise et impuissante » face au gouvernement, pour reprendre les termes d’une étude de la Fondation pour les relations internationales et le dialogue extérieur ? Jusqu’à quand continuera-t-elle à lier son appui au gouvernement du Nicaragua à l’aval que donne à ce dernier le FMI, institution qui ne semble s’intéresser qu’aux chiffres macroéconomiques ? Ou jusqu’à quand le FMI fera-t-il abstraction de tout le reste ?

Il y a une limite à tout. La communauté de la coopération pourrait décider d’éviter à l’avenir les déclarations aussi franches et ouvertes que celles qui ont toujours caractérisé l’ambassadrice Eva Zetterberg, mais elle pourrait aussi commencer à rompre avec les critères du FMI et à réduire progressivement l’aide budgétaire si la situation n’évolue pas.

Les donateurs semblent avoir fait pression sur le FMI pour qu’il se montre plus ferme à l’égard du gouvernement. Et il semblerait qu’ils attendent le déroulement et les résultats des élections municipales pour prendre des mesures plus drastiques. Après l’annulation du Parti conservateur et du Mouvement de rénovation sandiniste (MRS), qui reste un sujet d’inquiétude, les actes du Conseil suprême électoral, qui refuse d’accréditer des observateurs électoraux, et les mises en garde contre une fraude électorale qui serait déjà en marche, les pays donateurs restent sur leurs gardes. Le déroulement des élections pourrait bien être l’élément déclencheur qui les poussera à prendre une décision.

L’épreuve de la controversée coopération vénézuélienne

Serait-ce pour éviter une décision qui créerait un « trou » dans le budget et priverait le gouvernement d’Ortega de la possibilité de continuer à utiliser à sa guise la coopération vénézuélienne, que le président de la Banque centrale, Antenor Rosales, s’est engagé auprès de la délégation du FMI en visite au Nicaragua au mois d’août à faire une reddition de comptes ? Il s’est en effet engagé à publier sur le site internet de la Banque les informations concernant l’intégralité de la coopération que reçoit le Nicaragua, y compris la controversée coopération vénézuélienne, dont nous ne connaissions qu’une arithmétique confuse sortie de la bouche du Président Ortega ?

Le 1er septembre, conformément à l’engagement pris envers le FMI, le gouvernement a publié sur Internet sa « reddition de comptes ». Il y est indiqué que la coopération vénézuélienne s’est élevée en 2007 à 184,9 millions de dollars, un chiffre largement inférieur aux deux autres montants annoncés par le Président Ortega. Selon M. Rosales, les chiffres de la Banque « sont les chiffres officiels » et les écarts peuvent s’expliquer par le fait que le Venezuela a promis une énorme coopération, mais n’a pas versé la somme entière.

Il est surprenant que les informations fournies par la Banque centrale ne fassent pas la lumière sur l’Accord pétrolier, qui constitue le noyau central de la coopération du Venezuela et qui, bien qu’il s’agisse d’un accord d’État à État, est canalisé par l’intermédiaire d’ALBA-Caruna, une coopérative privée du FSLN.

Selon l’économiste Néstor Avendaño, les informations publiées par la Banque centrale ne font que renforcer la confusion et l’opacité déjà existantes. Une confusion sur les fonds « publics » qui financent des projets « publics », mais qui sont reçus et mis en œuvre par des entreprises « privées » liées à des fonctionnaires et à des dirigeants du FSLN et qui ne respectent pas les procédures d’appel d’offres public. Une confusion sur les ressources publiques qui engendreront une dette publique, mais qui n’apparaissent pas dans le budget national et ne sont soumises à aucun contrôle parlementaire. Transparence zéro ?

Un « mécanisme inventé »

Ces « informations » de la Banque centrale satisferont-elles le FMI et la communauté des donateurs ? Pour compliquer les choses, quelques jours avant leur publication, le ministre des finances et du crédit public, Alberto Guevara, lors d’une réunion avec les CPC d’Ocotal à laquelle avait assisté le correspondant du journal El Nuevo Diario, avait affirmé que le gouvernement avait « inventé un mécanisme » pour que la coopération vénézuélienne n’entre pas dans le budget et que ces ressources passent par ALBA-Caruna pour financer des projets publics, mais intégrés à la campagne électorale du FSLN. Il admettait ainsi ce qui était déjà plus qu’un soupçon : que l’administration des fonds de l’accord pétrolier par l’intermédiaire d’ALBA-Caruna est une manœuvre gouvernementale pour éviter les contrôles et les vérifications des comptes.

À cette occasion, M. Guevara a également affirmé que, lorsque le gouvernement décidera d’apporter des réformes au budget, il s’assurera au préalable qu’elles seront approuvées, parce que « nous avons déjà ligoté les députés et nous les payons déjà ». Il a ainsi reconnu également la triste tradition d’achat des voix au Parlement.

Macroéconomie : OK

À l’occasion de la rencontre entre la Banque centrale et le FMI à Managua, en prévision de la prochaine rencontre à Washington, le gouvernement du Nicaragua a pris d’autres engagements en plus de « rendre transparente » la coopération vénézuélienne.

Il s’est engagé à assurer une croissance économique de 3 à 4 % en 2008, à contenir l’inflation en dessous de 18 % et à maintenir une réserve internationale de 1,23 milliard de dollars.

Cette croissance économique sera identique aux autres années. Ce qui ne signifie pas grand chose en matière de réduction de la pauvreté si l’on compare cela avec la croissance démographique et avec tant de retards historiques. En outre, bien que les exportations aient augmenté en volume et en devises du fait de la hausse internationale des prix, étant donné que les importations augmentent également et coûtent plus cher (pour la même raison), l’énorme déficit commercial du pays se stabilise.

Dans un contexte macroéconomique identique à celui du gouvernement néolibéral précédent, l’économie domestique reste très affectée par l’inflation conjoncturelle et par les taux de chômage structurel déjà élevés, le nombre considérable d’emplois informels et les emplois publics mal rémunérés. Sans compter que l’émigration ne cesse d’augmenter.

C’est au milieu de cet océan permanent de pauvreté, de carences et de manque d’opportunités que le gouvernement d’Ortega a fait des efforts pour venir en aide aux plus pauvres. Il en a fait encore plus à l’approche des élections municipales, étant donné qu’un succès électoral retentissant donnerait à Ortega tous les droits pour rêver d’une réélection et d’un quinquennat de plus au pouvoir.

Des efforts incontestables de la part du gouvernement

Selon les chiffres officiels, le programme Faim Zéro a aidé 30 709 familles dans tout le pays. Bien que ce programme n’ait pas généré d’organisation ni de retour des crédits, il a calmé la famine dans les régions rurales les plus démunies.

Au total, 73 747 femmes ont bénéficié de crédits à des taux d’intérêt très bas dans le cadre du programme Usure Zéro. Bien que 80 % des crédits accordés par le programme restent en suspens, il a permis à ces femmes de maintenir en activité des petits commerces de survie. De la même manière, pour chacun des 1 500 commerçants qui ont tout perdu dans l’incendie du marché oriental de Managua le 1er août, le gouvernement a affecté, sur les fonds vénézuéliens, 5 000 dollars de crédit à un taux annuel de 3 % pour qu’ils puissent se remettre sur pied. Le programme a été baptisé « Au nom de Dieu ».

Afin de réduire le prix du plat qui constitue l’alimentation de base de la population, le gallopinto (riz, haricots et huile), le gouvernement a installé des centaines de stands qui vendent ces trois produits à des prix un peu plus bas que ceux du marché pendant quelques heures, un jour par semaine, dans les quartiers les plus pauvres. Malgré les interminables files d’attentes devant ces stands, cette option a permis de réduire la faim dans la ville. L’objectif du gouvernement est d’installer 2 800 stands de ce type dans tout le pays.

Il convient de signaler également l’augmentation des pensions versées aux victimes de la guerre des années 1980, les efforts d’alphabétisation à l’aide de la méthode cubaine « Yo sí puedo » [3], les dizaines de chirurgies oculaires gratuites, surtout pour la cataracte, dans le cadre de l’« Opération miracle » [4], les 1 062 rues pavées dans des quartiers de différents endroits du pays dans le cadre du programme « Des rues pour le peuple » et les bourses d’études à Cuba accordées à des jeunes de familles pauvres (128 boursiers en 2008).

À toutes ces actions s’ajoutent la gratuité des soins dans les hôpitaux et centres de santé, même s’ils manquent de matériel de base et de médicaments, et la suppression des frais de scolarité et des autres dépenses dans les écoles publiques.

Des efforts limités et clientélistes ?

Ces œuvres d’intérêt social résistent-elles à l’épreuve de la règle de trois des critères que doivent respecter les projets populaires et non clientélistes ? Les méthodes et l’organisation sont-elles démocratiques ? La répartition est-elle équitable ? Le fonctionnement et les résultats sont-ils efficaces ? Pour le moment, les bénéficiaires de ces œuvres les ont accueillies avec beaucoup de reconnaissance, en les considérant comme des « aides ».

Le cinquième sondage d’opinion national effectué par l’entreprise M&R sous le gouvernement d’Ortega (du 14 au 19 août) indique que, même s’il y a eu des milliers de bénéficiaires, ce chiffre reste encore très limité, et que 70,5 % des personnes interrogées considèrent que le gouvernement « ne manifeste aucun intérêt pour résoudre les problèmes nationaux ». Pour 83,3 % d’entre elles, l’économie s’est dégradée. Par conséquent, 69 % affirment être prêtes à quitter le pays en quête d’une vie meilleure.

Ces opinions, qui portent plus sur les enjeux nationaux que locaux, auront-elles un poids au moment des élections municipales du 9 novembre ? Il se pourrait qu’elles n’aient aucun poids et que le choix des électeurs soit véritablement déterminé par la bonne ou la mauvaise gestion du maire sortant et du parti qu’il représente (parmi les maires sortants, 87 sont membres du FSLN ou de l’un de ses partis alliés).

Des élections sans surveillance

La route vers les élections municipales reste pavée de contradictions. Le Conseil suprême électoral (CSE) s’obstine à refuser d’accréditer des observateurs nationaux. Néanmoins, quelque 6 000 personnes du groupe Éthique et Transparence (EyT) se tiennent prêtes à surveiller les élections, avec ou sans accréditation officielle. Si elles ne reçoivent pas l’accréditation avant le 10 octobre, elles « observeront de l’extérieur, comme cela se fait dans les régimes dictatoriaux », a annoncé Robert Courtney, directeur du groupe EyT.

Le Centre nicaraguayen des droits de l’homme (CENIDH), qui fait partie de la direction du groupe EyT, a annoncé que ses promoteurs ne feraient aucune observation électorale, comme ils l’ont fait précédemment, car leur participation à cette tâche légitimerait des élections « qui manquent déjà de crédibilité et dont les résultats sont prévisibles, puisque les jeux sont faits d’avance ». Face à cette décision, M. Courtney a expliqué que « même si le processus électoral risque de présenter des vices de procédure irrémédiables, l’important, c’est d’observer le processus, car plus il y a de délits, plus il y a de raisons de travailler ».

Lors de la journée de vérification des électeurs, qui a eu lieu fin juillet, malgré un faible taux de participation, plus de 80 000 changements de domicile anormaux ont été détectés, précisément dans des circonscriptions où les résultats entre les libéraux et le FSLN ont été serrés par le passé. Le CSE n’a pas fait parvenir aux partis le registre électoral mis à jour incluant ces changements et aucune vérification du registre n’a pu être effectuée pour confirmer sa validité.

« Nous avons atteint la maturité »

De plus, le CSE a catégoriquement refusé d’inviter des observateurs internationaux. Il n’accepte que ceux du CEELA (Comité des experts électoraux d’Amérique latine), qui fonctionne sous l’égide du Venezuela.

Lorsque les libéraux d’Alemán et de Montealegre ont insisté pour inviter les observateurs de l’Organisation des États américains (OEA), le CSE a également refusé, alléguant que les élections municipales ne méritaient pas tant d’efforts.

Lorsque le Secrétaire général de l’OEA, José Miguel Insulza, a exprimé sa « préoccupation » quant à l’annulation du Parti conservateur et du MRS et a annoncé que le Conseil permanent de l’OEA serait informé de cette situation, le président du CSE, Roberto Rivas, s’est empressé de répliquer qu’en adoptant une telle position, l’OEA faisait preuve « de trop d’ingérence, d’insolence et d’immoralité pour observer les élections municipales ». En apprenant l’opinion de M. Insulza, le président Ortega a menacé de retirer le Nicaragua de l’OEA, qu’il a nommée « instrument de l’empire et de l’oligarchie ». Finalement, le Conseil permanent n’a pas été informé de l’annulation des deux partis nicaraguayens et n’a pas abordé la question.

Par la suite, Ortega a affirmé que le Nicaragua a déjà atteint « une maturité et une expérience suffisantes » en matière d’élections pour ne pas avoir besoin d’observateurs nationaux ou internationaux et qu’il suffira donc que les surveillants des partis observent le bon déroulement des événements. Cette réticence vis-à-vis de l’observation électorale a naturellement éveillé les soupçons, étant donné que le FSLN est le seul, parmi les cinq partis en lice, à refuser l’observation.

Voter nul

À la veille des élections, dans une atmosphère tendue, alors que l’électorat s’annonce plus passif que lors des scrutins précédents et que le CSE perd peu à peu sa crédibilité, le Mouvement pour la sauvegarde du sandinisme a appelé ses membres ainsi que toute la population à ne pas choisir l’abstention mais à voter nul en faisant une tache sur leur bulletin, sans jamais voter blanc.

Tout en admettant que les résultats sont calculés en comptant uniquement les bulletins valides, Mónica Baltodano, dirigeante de ce groupe sandiniste, justifie cet appel à voter nul en rappelant que le CSE doit comptabiliser tous les bulletins déposés, y compris les bulletins nuls, et que cette action « d’insoumission et de désobéissance civile » permettra de « mesurer à quel point les citoyens rejettent le régime en place à travers les résultats finaux ».

L’appel du Mouvement de sauvegarde du sandinisme a été interprété par certains porte-parole du CSE comme un « délit électoral » et par les libéraux comme une faveur accordée par les sandinistes dissidents au FSLN. En effet, le FSLN profite aussi bien de l’abstention que du vote nul pour sortir vainqueur puisqu’il a toujours pu compter, scrutin après scrutin, sur un électorat discipliné. En sera-t-il de même cette fois-ci ?

Non à l’abstention

Le 15 août dernier, les neuf évêques de la Conférence épiscopale du Nicaragua ont publié une exhortation en prévision des élections. Dans ce long document, ils énumèrent les « zones de lumière et les zones d’ombre » existant sur la scène politique nationale (la liste des zones d’ombre étant considérablement plus longue) et, évitant toute la polémique autour du processus électoral, exhortent à cinq reprises à ne pas s’abstenir de voter : « Nous manquerions à nos devoirs de citoyens si nous nous tenions à l’écart… En dépit de ses doutes quant à la transparence du processus électoral, le citoyen devrait persévérer et aller voter… Il est indispensable de participer pleinement à l’organisation de la communauté politique en exerçant son droit de vote… Participer aux élections est non seulement un droit que nous possédons en tant que citoyens nicaraguayens, mais c’est aussi une obligation que nous avons envers notre communauté et notre nation. Ne pas voter, c’est déjà choisir… Nous vous exhortons à exercer votre droit de vote… »

Tout sourit au FSLN ?

Le gouvernement décidera-t-il d’assumer la délégitimation d’un processus électoral dont il attend beaucoup pour assurer la continuité de son projet politique ? Ou acceptera-t-il d’accréditer des observateurs et même de rendre aux deux partis guillotinés leur statut juridique ?

La campagne électorale débute officiellement le 25 septembre – même si, dans les faits, elle a déjà commencé depuis longtemps – et toutes les conditions techniques préalables semblent réunies pour favoriser un triomphe retentissant du FSLN.

Mais qu’en est-il des circonstances politiques ? Sont-elles aussi largement favorables au FSLN ? De nombreuses inconnues subsistent. Dans les enquêtes non publiées, un fort pourcentage de personnes refuse de se prononcer sur le candidat pour qui elles voteront.

La tradition veut que les personnes qui répondent ainsi aux sondages préélectoraux le fassent par peur du pouvoir en place car elles votent contre lui. Toutes les structures du CSE, de la base au sommet de la hiérarchie, sont aujourd’hui entre les mains du FSLN. De même, tous les bureaux de vote sont présidés par des membres du FSLN et de son nouvel allié, l’Alliance libérale nicaraguayenne (ALN).

Ainsi, devons-nous nous attendre à une fraude préélectorale, qui sévirait déjà au moyen de la manipulation préalable du registre électoral et du contrôle des bureaux de votes et qui consisterait à « accommoder » les résultats, notamment là où l’on sait, d’après les registres précédents, qu’ils ont été particulièrement serrés ?

Rivaux ou alliés… pour combien de temps ?

Le FSLN espère triompher et diriger 100 des 145 mairies en jeu au cours de ces élections dont, bien entendu, celle de Managua, « le joyau de la couronne ».

L’alliance entre le Parti libéral constitutionnel (PLC) d’Alemán et le mouvement « Vamos con Eduardo » (Tous avec Eduardo) de Montealegre espère également remporter 100 mairies, y compris celle de la capitale. La perte de la mairie de Managua par le FSLN serait une défaite terrible pour Ortega et le pousserait peut-être à revoir ses plans.

Jusqu’au dernier jour d’août, la tension était palpable entre Arnoldo Alemán et Eduardo Montealegre, même si Montealegre est candidat à la mairie de la capitale sous la bannière rouge du PLC, le parti contrôlé par Alemán.

Jusqu’à cette date, l’impression générale était qu’Alemán, qui considère Montealegre comme un rival politique au sein de la famille libérale – cela semble même être sa seule préoccupation –, misait sur la défaite de Montealegre, voire s’attelait à le faire perdre. Mais le 1er septembre, tous deux sont apparus ensemble pour la première fois, assis à la même table, tout sourires, au cours de la première « rencontre institutionnelle » et publique entre les deux hommes. Certes, les sourires étaient forcés, mais ils avaient le mérite d’exister. Selon Eduardo Montealegre, on arrondit ainsi « les angles ». Selon Arnoldo Alemán, l’union des libéraux les mène toujours à la victoire, parce que le parti libéral est une « machine à engranger les voix ».

Dans un paysage politique qui ne cesse de se resserrer, polarisé entre le sandinisme ortéguiste, l’opposition de gauche et l’antisandinisme traditionnel de droite, combien de temps cette rivalité va-t-elle encore durer ? Alemán se trouve face à un dilemme : demeurer un partenaire de plus en plus minoritaire dans le pacte qu’il a conclu il y a dix ans avec Ortega ou améliorer sa position personnelle et politique en encourageant l’antisandinisme et, pour cela, en favorisant la candidature de Montealegre au lieu de s’obstiner à lui nuire. À trois mois des élections, il semble avoir opté pour la deuxième solution.

Cela va-t-il durer ?

Mécanique électorale

La mécanique du pacte entre le FSLN et le PLC s’est toujours avérée plus favorable au FSLN, qui n’a cessé de progresser dans toutes les institutions, laissant à la traîne Alemán et ses partisans dans toutes les sphères du pouvoir. Un triomphe du PLC à Managua – même avec Montealegre comme candidat – est nécessaire pour renforcer à la fois l’antisandinisme, bannière du PLC, et la position d’Alemán dans son pacte avec Ortega.

Si Alemán cesse de « mettre des bâtons dans les roues » à Montealegre et si le FSLN ne parvient pas à manipuler les votes de façon spectaculaire dans la capitale, la mécanique électorale assurera le triomphe du PLC et de Montealegre à Managua. Les données du CSE sur les dernières élections générales montrent que, dans tous les bureaux de vote de la capitale, l’union des libéraux a recueilli plus de voix que le FSLN. En effet, dans chaque bureau, la répartition des voix était la suivante, à peu de choses près : 88 voix pour le Front, 77 pour les libéraux de Montealegre, 50 pour ceux du PLC, 44 pour le MRS et 1 voix pour Edén Pastora. Si les libéraux d’Alemán et de Montealegre restent unis, il paraît impossible que le FSLN l’emporte à Managua.

Comme à la guerre

Il y a deux ans, Daniel Ortega demandait aux électeurs – les suppliait – de lui accorder « une deuxième chance », cette fois-ci pour gouverner le Nicaragua en temps de paix. Il avait déjà gouverné le pays, acculé par les terribles privations qu’impose une guerre.

Vingt mois plus tard, la façon dont la rhétorique de ses discours nous ramène toujours aux années de guerre ne cesse de nous surprendre. Le gouvernement qu’il préside cherche à s’imposer, à vaincre, et non à convaincre. Comme à la guerre. Il envahit des territoires, favorise une discipline hiérarchique, réagit sur la défensive. Comme à la guerre. Mais il semble ne pas avoir reçu d’entraînement pour dialoguer avec la société nicaraguayenne, si différente aujourd’hui de celle des années 1980, à l’époque où Ortega a eu pour la première fois la chance de la gouverner.

L’évolution de la société nicaraguayenne et du monde pendant toutes ces années, le développement des médias et des organisations sociales, au Nicaragua et dans le monde, pendant toutes ces années, ainsi que les expériences que tant de Nicaraguayens ont dû vivre et les initiatives qu’ils ont dû prendre pendant toutes ces années, entre sa première et sa deuxième chance, ont dessiné un autre Nicaragua.

Le président Ortega doit dialoguer avec cet autre Nicaragua. Il doit comprendre qu’aucun gouvernement ne compte que des succès à son actif. Il doit comprendre que le soutien au Front sandiniste n’est pas majoritaire au Nicaragua. Il ne l’a jamais été. Et il pourrait bien être en déclin aujourd’hui à cause des erreurs de son gouvernement, décidé à accuser, calomnier, faire taire, humilier et diviser tous ceux qui expriment des critiques à l’encontre de ces erreurs ou n’y sont pas favorables.

Une liste interminable d’injustices

Ce n’est pas seulement la rhétorique permanente qui offense et insulte. C’est l’instrumentalisation de toutes les institutions de l’État dans le but de livrer cette guerre, dans laquelle l’objectif du gouvernement apparaît de plus en plus clairement : une « politique de la terre brûlée » qui mettra fin aux droits à la libre expression et à la participation autonome.

Rien ne semble pouvoir arrêter l’autoritarisme gouvernemental qui s’abat, avec arrogance et vengeance, sur une célébrité nationale comme le poète Ernesto Cardenal – condamné par un juge pour avoir critiqué Ortega au Paraguay –, sur une haute fonctionnaire compétente comme Patricia Delgado – obligée de renoncer à son poste de conseillère municipale pour avoir approuvé la gestion du maire Marenco – ou encore sur des hommes et des femmes anonymes employés par l’État – licenciés pour avoir été surveillants du MRS lors des élections précédentes.

La liste des personnes accusées, menacées ou outragées s’allonge jour après jour. Elle comprend des journalistes renommés comme Carlos Fernando Chamorro et Sofía Montenegro, passe par les ONG nationales et internationales et par des personnalités aussi populaires que Carlos Mejía Godoy et Edgard Tijerino, pour atteindre finalement une cible privilégiée : les organisations féministes nationales et internationales, calomniées et insultées violemment par le gouvernement au pouvoir.

L’armée aussi ?

Dans ce contexte, le discours prononcé par le Général Omar Halleslevens, chef d’État-major de l’armée du Nicaragua, à l’occasion de la célébration du 29<supe anniversaire de l’institution militaire, s’avère particulièrement inquiétant.

Trois organisations sociales – relayées, bien entendu, par les médias – avaient posé des questions, tour à tour, à l’Institut de prévision sociale militaire pour un problème de terres (cas Esquipulas), à l’armée à propos d’un projet de logements dans une zone protégée de Managua (le mont Mokorón) et aux membres de l’armée au sujet du massacre de trois paysans dans une ferme du sud de la côte Caraïbe (cas El Encanto). Face à ces questionnements – s’appuyant sur des sources fiables –, l’attitude de refus catégorique manifestée par le discours du Général paraît surprenante venant de l’institution qui est la mieux placée pour dialoguer grâce à la crédibilité qu’elle a conservée, dans un pays où presque toutes les institutions l’ont perdue.

Le Général a également nié en bloc toutes les informations sur ces trois cas, alléguant le fait que l’armée était victime d’une « campagne médiatique ».

« Il ne nous intimide pas »

Les trois organismes auxquels le chef d’État-major de l’armée a fait implicitement allusion, à savoir le Centre nicaraguayen des droits de l’homme, le Centre Humboldt et l’Institut d’études stratégiques et politiques publiques, ont répondu dès le lendemain.

Ils ont affirmé, à propos du discours du chef d’État-major de l’armée : « Il ne nous intimide pas et ne nous fera pas changer notre action quotidienne ». Ils ont insisté sur le fait que ses déclarations « mettent en évidence la défense des intérêts économiques de l’Institut de prévision sociale militaire (IPSM) aux dépens des droits à la vie, à la propriété et à l’environnement des citoyens du Nicaragua […] et violent les droits de libre accès à l’information, puisqu’il s’attribue, ainsi qu’à l’institution qu’il préside, le pouvoir de refuser l’accès à l’information publique, surtout en ce qui concerne les activités commerciales de l’IPSM. Ce faisant, le chef d’État-major de l’armée du Nicaragua se place au-dessus des lois, du contrôle social des citoyens et de leurs droits à l’information et à la libre expression ».

Jusqu’à quand ?

Le fait que le gouvernement et les institutions publiques, aussi bien militaires que civiles, dévalorisent les critiques justifiées émanant de la société et des médias, en les englobant tantôt sous le qualificatif militariste de « guerre médiatique » tantôt sous celui, plus religieux, de « campagnes de la haine », est une preuve d’irresponsabilité.

Nous ne sommes pas en guerre. Ortega parle des « canons des médias » et se dit victime d’une « guerre des coups bas ». Personne ne le déteste, nous nous contentons de surveiller ce qu’il fait et de le questionner sur ses actions. Il s’agit là d’un droit constitutionnel, dérivé de la démocratie participative. Il s’agit d’un droit civique.

Ce que le Président interprète comme des balles, des canons, des tirs et des bombes, ce sont des données, des informations, des idées, des remarques, des critiques. Ce qu’il interprète comme une haine, un venin, un manque d’amour et un péché, ce sont des raisonnements, des arguments, des principes, des droits civiques et des devoirs régaliens. Jusqu’à quand ?


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3025.
 Traduction de Cécile Rousseau pour Dial.
 Source (espagnol) : revue Envío, n° 318, septembre 2008.

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