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DIAL 2433 bis

AMÉRIQUE LATINE - La théologie de la libération aujourd’hui : actualiser l’option pour les Pauvres

Texte intégral

samedi 16 décembre 2000, mis en ligne par Dial

Texte intégral de l’article publié dans DIAL D 2433.


Dans le titre de cet article, l’on affirme deux choses sur le fond. L’option pour les pauvres doit demeurer. Il y a là quelque chose avec quoi on ne peut pas transiger, un noyau dur qu’aucune flexibilité ne doit altérer. Cependant, quelque chose doit être changé. Soit parce que certains aspects sont périmés, soit parce que des aspects nouveaux, qui méritent d’être pris en considération, sont apparus.

Par conséquent cet article prétend répondre à trois questions :

a) Quel est ce « noyau dur » de l’option pour les pauvres qui n’est pas modifiable ?

b) Quels sont les aspects qui doivent être réformés parce qu’ils sont décalés par rapport à la réalité ?

c) Quels modèles nouveaux doivent être intégrés au noyau dur ?

L’option préférentielle de Medellín et Puebla

La réponse est catégorique. L’option en faveur des pauvres est une donnée biblique qui répond à la plus authentique tradition de l’Ancien Testament et qui a été assumée de façon éminente par Jésus. Ce qui est en jeu là c’est le cœur même de la révélation judéochrétienne. C’est un thème qui a été repris et développé jusqu’à la satiété [1]. Il n’y a pas à le réviser. Il suffit de rappeler que l’acte fondateur du peuple d’Israël est sa libération de la captivité en Égypte. On vivait une expérience d’oppression, de travail dur, de menace de mort, d’où ont surgi la clameur du peuple et l’action libératrice du bras de Yahvé (Ex 1, 8-22 ; 2, 23-25 ; 3, 7-8).

L’attitude de Jésus est plus radicale encore. Né pauvre, il s’est voulu pauvre (Lc 2, 6-7). Il a vécu parmi les pauvres. Il est mort dans la plus extrême pauvreté. Il a proclamé la prédilection de Dieu pour les pauvres (Mt 5, 3 ; c 6, 20). Il s’est identifié à eux (Mt 25, 31-46).

L’option de Dieu

L’option de Dieu en faveur des pauvres est une évidence de la révélation biblique. C’est en elle que trouve son fondement l’option de l’Église et des chrétiens en leur faveur. On opte pour qui Dieu a opté avant nous. Il n’y a pas de fondement plus solide.

C’est lorsqu’elle se rapproche des pauvres, lorsqu’ils trouvent en elle un lieu privilégié où ils sont prioritaires [2], que l’Église du Christ se maintient à son état le plus pur. Chaque fois qu’elle s’éloigne des pauvres, se laisse submerger par les richesses, se laisse corrompre par l’avidité terrestre, elle corrompt son état. De là vient que, tout au long des deux millénaires, on a entendu des prophètes clamer sur tous les toits cette vérité.

La longue tradition de la vie religieuse répète le même message. Jamais on n’a vu un fondateur de vie religieuse placer parmi les vœux un vœu de richesse, ou inclure parmi les options fondamentales une option en faveur des riches. Lorsqu’on va vers ceux-ci, c’est mu par la conscience que, s’ils ne se convertissent en relation aux pauvres, ils ne trouveront pas le chemin du salut. Au bout du compte, le point de départ de l’action auprès des riches est l’option en faveur des pauvres.

Dans le champ de la spiritualité aussi, l’expérience de Dieu a connu un déplacement. La tradition Medellín-Puebla a introduit sa propre nouveauté. Opter pour les pauvres c’est connaître le Dieu des pauvres. L’expérience de Dieu que l’on avait beaucoup cantonnée au champ des expériences religieuses, voire de la nature elle-même, prend un nouveau visage lorsqu’elle est vécue au plan politique.

La grande tradition spirituelle insistait, à juste raison, sur l’importance de l’expérience de Dieu dans la prière, la liturgie, les exercices spirituels. Une tendance mystico-cosmique, dans le sillage de saint François, contemplait Dieu dans la beauté de la nature.

Le monde du quotidien et du travail, assumé dans l’obéissance et le cadre du temps religieux, était également considéré comme le lieu de l’expression de Dieu. Les diverses congrégations religieuses ont connu des saints qui vécurent dans une absolue fidélité aux obligations quotidiennes et ainsi se sanctifièrent. Les bénédictins unissaient « ora et labora ». Le travail était intégré au monde du sacré religieux, comme un intervalle entre les interminables heures de prière.

Les Ordres mendiants valorisaient la prédication. Mais celle-ci découlait de la plénitude de l’expérience de la prière. « Contemplata aliis tradere »- communiquer aux autres ce que l’on avait contemplé dans la prière -.

Ignace alla plus loin. Il entrevit la possibilité de rencontre avec Dieu dans l’action elle-même. « In actione contemplativus » - Contemplatif dans l’action -. Mais il s’agissait d’actions réalisées dans le cadre d’un projet apostolique. [3]

La tradition Medellín-Puebla ose un pas en avant. La lutte en faveur des pauvres est un lieu privilégié de rencontre avec Dieu du simple fait qu’elle est menée « en faveur des pauvres ». Son caractère sacré ne lui vient ni de la contemplation évoquée ci-dessus, ni de la soumission à la mission, en tant que telle, mais de la nature même de la réalité. Dieu est ici présent. Entrer dans cette lutte c’est rencontrer Dieu. Voici la nouveauté de cette tradition. [4]

Air connu.

Medellín-Puebla n’ont rien fait d’autre que d’actualiser le message biblique à l’échelle de notre continent. Et ce faisant ils ont attiré l’attention sur une nouvelle compréhension du pauvre. Ainsi s’ouvrit une nouvelle voie dans l’interprétation. L’axe de la pauvreté s’est déplacée. Autrefois elle était vue sous l’angle d’une réalité naturelle. La pauvreté provenait de carences ou de catastrophes naturelles : insuffisance de ressources naturelles, sécheresses, mauvaises récoltes, tremblements de terre, pestes, etc...

Si la pauvreté vient d’une cause naturelle, il ne reste plus à l’être humain qu’à l’accepter comme venant de la main de Dieu, et à s’efforcer de la réduire grâce à la générosité des plus favorisés. Pendant des siècles c’est sur ce binôme que s’est construit le système caritatif de l’Église, de la vie religieuse. [5]

L’aspect politique de la pauvreté

La tradition Medellín-Puebla ouvre les yeux sur l’aspect politique de la pauvreté. En bien des endroits il n’existe plus de raison de parler de pauvreté naturelle. Les moyens suffisants sont déjà là pour la vaincre. Mais le jeu des forces sociales ne le permet pas. Il y a asymétrie dans la relation. La pauvreté est le fruit de l’injustice sociale. Elle ne relève pas d’une simple charité assistentielle mais d’une transformation sociale, du changement dans les rapports sociaux.

Ceci a impliqué un double mouvement qui va caractériser le noyau de cette tradition. Dans un premier temps on a analysé la situation sociale pour percevoir le mécanisme injuste générateur de pauvreté. On a eu recours, sinon à l’analyse marxiste au sens strict du terme, du moins à certains de ses éléments. Ils permettaient en effet, de dévoiler les structures oppressives qui fabriquaient l’appauvrissement. C’est la raison pour laquelle on a préféré parler des appauvris que des pauvres.

De toute évidence le système capitaliste dominant dans le bloc occidental se trouvait au centre des analyses et des critiques. On voyait en lui la cause de l’injustice sociale, de la pauvreté générée dans les pays de ce bloc. L’aspect socio-structurel de la pauvreté prédominait puisque c’est sous cet angle que la réalité était analysée.

Dans un deuxième temps on réfléchit à une alternative qui prenne en compte les pauvres. Le modèle socialiste semblait répondre aux attentes. Sans aucun doute on y parvenait à une meilleure distribution du revenu. La pauvreté sous ses formes scandaleuses, telle qu’elle existait et existe encore dans les pays capitalistes, surtout périphériques, y fut vaincue. Les pays socialistes présentaient des indices beaucoup plus équilibrés en matière de santé, scolarisation, habitat, alimentation. La pauvreté y existait mais pas la misère. Il y avait davantage d’égalité. Les différences sociales et économiques étaient moindres.

Le noyau dur

On peut donc faire une synthèse du « noyau dur » de l’option en faveur des pauvres dans la tradition Medellín-Puebla, à travers les points essentiels de sa théorie :

 on fait l’option pour les pauvres parce que c’est l’option de Dieu lui-même dans l’Ancien Testament ;

 ce choix est confirmé par la pratique, la personne et le message de Jésus-Christ ;

 la tradition de l’Église et de la vie religieuse a toujours privilégié l’option pour les pauvres, sinon dans la pratique du moins dans le discours ;

 au cœur de l’option en faveur des pauvres il y a une expérience spirituelle de Dieu ;

 dans cette tradition latino-américaine l’axe de compréhension de la pauvreté se déplace de la nature vers le socio-politique ;

 c’est pourquoi la connaissance de la réalité au moyen d’instruments théoriques socio-structuraux à connotation marxiste est privilégiée ;

 on envisage, en faveur des pauvres, la nécessité d’un changement social dans une perspective socialisante.

Divers événements socio-politiques et ecclésiaux ont provoqué un affaiblissement de l’option pour les pauvres telle qu’elle s’était développée en Amérique latine. Ces événements n’ont pas touché le noyau biblique mais la façon dont on interprétait telle donnée de la Révélation.

De toute évidence, la chute du socialisme et le triomphe unilatéral du capitalisme néolibéral ont obligé à repenser la façon dont l’option pour les pauvres était pensée et mise en pratique. Un horizon utopique s’est formé. Même si la dimension socialisante de la réflexion latino-américaine ne coïncidait pas avec sa mise en pratique dans le socialisme de l’Est [6], on ne peut pas nier qu’elle en ait été du moins éclaboussée. Elle doit être repensée.

Les causes de la chute du socialisme sont nombreuses [7]. Certaines sont dues, sans doute, à la perversité propre à l’adversaire capitaliste. La politique machiavélique du binôme Reagan-Thatcher, dont les effets destructeurs continuent à se faire sentir, est bien connue. Elle a été certainement à l’origine de la chute du socialisme.

Mais dans l’intérêt de notre réflexion, il est beaucoup plus efficace, plutôt que de lancer des pierres à l’adversaire, de faire une autocritique des aspects négatifs qui ont miné l’expérience socialiste, et qui, par conséquent, doivent être pris en compte dans le renouvellement de l’option pour les pauvres.

La leçon de l’échec des pays de l’Est

La leçon la plus positive en ce qui concerne l’échec de l’expérience de l’Est a pu venir de l’inefficacité et de l’injustice inhérentes à un régime autoritaire, fondé sur le parti unique [8]. En effet dans le système du socialisme réel régnait le parti unique. Ceci signifie que toutes les instances y étaient, d’une certaine façon, dirigées par lui. Son pouvoir de décision allait du nombre de chaussures qu’il fallait fabriquer aux critères esthétiques et religieux. Lord Acton a tout à fait raison lorsqu’il affirme : « tout pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. »

Ce pouvoir absolu du parti a corrompu le système socialiste de l’intérieur et a provoqué son effondrement. La vérité ne peut pas être la prisonnière d’une instance unique, quelle que soit cette instance. Et dans le cas du parti unique, l’ampleur de sa domination n’avait pas de limite. On a tué la créativité. On a engendré un système d’accommodements. Il a produit des fraudeurs et des profiteurs clandestins. Enfin il est à l’origine d’une série considérable de méfaits. Au bout du chemin : la chute.

Raideur militante

Si l’on considère l’option pour les pauvres, on ne peut pas l’absolutiser comme cela s’est vu et a été vécu en Amérique latine. Si authentique qu’elle était, elle restait une expression évangélique et ne pouvait pas se substituer aux autres formes possibles d’expression évangélique. Contaminée par le radicalisme et par sa valeur intrinsèque, l’option pour les pauvres a souffert, sans doute, d’une vision unilatérale qui est à repenser. Toute expression d’un engagement pour les pauvres qui n’était pas directement et clairement articulé sur une transformation socio-politique était considérée avec suspicion voire dédain. Elle était réduite à la catégorie d’aliénation.

Comme parti unique, les militants de cette option détenaient le secret et les vrais critères du changement. Quiconque s’éloignait de cette doctrine était un élément de diversion. En conséquence, cette forme quasi sectaire de l’option pour les pauvres, sans doute pratiquée par quelques-uns seulement, mais qui fut divulgée, devint périmée.

Avec cela, c’est aussi une vision strictement socio-structurelle de la réalité qui dépérit. Elle s’est montrée incomplète et inefficace pour rendre compte des phénomènes actuels. L’économisme s’est révélé comme un cancer néfaste qui ronge le socialisme et qui détruit aussi notre société [9]. Ce n’est pas seulement le fruit du socialisme, mais de la modernité économique. Et le capitalisme le pratique à grande échelle. Il produit des effets nocifs dans notre vie sociale actuelle. Avec la chute du socialisme, nous pouvons à tout le moins percevoir que l’une de ses formes a déjà chuté. Peut-être, parce qu’elle a été poussée à l’extrême. Le capitalisme continue de camoufler l’économisme au moyen de la propagande, du consumérisme, de l’illusion, d’une subjectivité aiguë, etc.

L’Église catholique a modifié dernièrement cette ligne assumée avec enthousiasme après le Concile Vatican II et sur notre continent après Medellín. Il existe une littérature abondante qui parle de ce « retour à la grande discipline » [10], de néoconservatisme [11], d’involution ecclésiale, du retour au traditionalisme, des certitudes et de l’orthodoxie, etc. Ce n’est pas ici le lieu pour reprendre cette affaire. Notre problème est de percevoir son influence sur l’option pour les pauvres, en indiquant tel ou tel point qui est tombé en désuétude à cause de cela.

Au cœur de ce revirement il y a des désirs sincères qui méritent d’être pris en considération. Il y a eu une usure du militantisme de gauche. Or l’option pour les pauvres était l’expression au niveau de l’Église de ce qu’était le militantisme en politique. À force de parler d’option pour les pauvres et d’écarter toute pratique pastorale qui ne soit pas en relation directe avec elle, un climat lourd voire même rude s’établit. On refusait la subjectivité. On considérait « bourgeois » au sens négatif du terme, tout cadeau, plaisir, joie.

Cette crise parmi les militants, semblable à ce qui se produit dans le cas qui nous occupe, Frei Betto en donne une bonne formulation : « Les partis commencent à perdre toute pudeur et à poser le problème de la subjectivité. Au fond j’ai l’impression qu’il nous faudra bien en venir au problème de la mystique elle-même. On peut comparer cela au fait que, tout en ne sachant rien de la chimie des sols, nous nous mettons à table et mangeons des pommes de terre, de la salade... toutes choses qui dépendent de la chimie des sols. Celui qui connaît ceci, c’est celui qui produit les fruits que nous consommons.

Serait-il donc possible de construire des hommes et des femmes nouveaux sans faire référence à la mystique ? Sur ce sujet la mystique équivaut à la chimie des sols par rapport à la production de fruits de qualité. Il faut briser tabou et préjugé au regard de l’évocation de ce thème, qui doit être discuté au café, sans quoi nous reproduirons l’erreur de nos compagnons socialistes, de leur idéologie empreinte d’objectivisme, qui ne prenait pas en compte le problème de la subjectivité. »

Les trois voies de l’option pour les pauvres

Selon nous, l’option en faveur des pauvres a besoin d’être revue dans ce qu’elle a de raide, de pesant, d’imposé, d’exclusif. On ne tolère plus désormais qu’il n’y ait qu’une seule façon de la mettre en pratique. Même aux temps les plus enflammés de l’option pour les pauvres, Clodovis Boff distinguait trois façons de s’intégrer dans le monde des pauvres.

Selon la première, tous optent pour les intérêts sociaux des pauvres en fonction de la situation géographique et de la mission concrète qui leur est impartie. On distingue alors clairement espace géographique et social. Le premier peut être indifférent. Les intérêts objectifs des pauvres constituent le second. Ceci implique une séparation et une négation claire des intérêts opposés des classes dominantes et un soutien accordé aux intérêts des pauvres. Chaque fois qu’apparaît une tension entre les nécessités et revendications des uns et des autres, on prend position en faveur des pauvres.

La question cruciale que soulève l’option en faveur des pauvres est celle-ci : quels intérêts servons-nous réellement ? Est-ce bien ceux des pauvres ?

C’est Don Claudio Hummes, alors évêque de Santo André, qui exprima de façon évangélique l’option pour les intérêts objectifs des pauvres lors d’un mouvement de grave tension sociale. Cela se produisit dans les années 1980, lors de la gigantesque grève de 200 000 ouvriers pendant 41 longues journées à l’ABC pauliste. Patrons et ouvriers s’affrontaient. L’Église prit le parti de la grève et lorsque l’évêque fut invité aux négociations en tant que médiateur, il répondit que « l’Église ne peut pas être médiateur dans ces situations. On ne peut pas faire une médiation entre la justice et l’injustice. L’Église doit rester aux côtés de ceux qui subissent l’injustice. » Et il prit place, à l’invitation des ouvriers et de leurs avocats, aux côtés de ceux-ci, face aux opposants, les patrons.

Il y a une seconde voie dans l’option pour les pauvres. On recherche des expériences concrètes pour vivre à leur côté et comprendre de plus près leurs véritables souhaits, intérêts, préoccupations. En plus du choix en leur faveur de façon objective, on veut connaître leur situation grâce à des expériences intermittentes de contact avec eux, mais non de manière permanente et intégrale. On continue à vivre la plupart du temps dans son propre espace géographique et culturel, mais avec des antennes branchées en direction de l’univers populaire à travers des incursions fréquentes dans ce monde, par exemple lors des fins de semaines ou lors de périodes plus longues pendant les vacances.

Enfin, il y a mille manières de faciliter une plus grande proximité avec l’environnement socio-culturel des pauvres. Ces expériences ont la particularité de maintenir le cœur ouvert aux pauvres et l’intelligence sensible à leur univers de valeurs, projets, rêves.

Il y a enfin une troisième voie qui va plus loin. Espace social et espace géographique se confondent. On vit véritablement intégré, géographiquement et culturellement, au milieu populaire. On sort radicalement de son propre espace social et géographique pour s’installer là où vivent, souffrent, espérant les pauvres.

Ces voies-là maintenaient l’essentiel de l’option en faveur des pauvres, mais il existait une insistance sur la troisième que les deux autres étaient considérées comme insuffisantes, voire dépourvues d’authenticité. Une telle rigidité d’opinion est apparue exagérée.

Religion et spiritualité

Depuis le début, on a insisté sur le fait que l’origine ultime de l’option pour les pauvres était théologale. Comme cela a été dit plus haut, elle se fondait sur l’expérience de Dieu. Malgré cela, on avait l’impression que ce type de militantisme manquait de spiritualité, de prière et de mystique.

Le moment présent connaît une forte tendance religieuse de type charismatique. Dans la citation ci-dessus Frei Betto met en évidence une relation entre l’importance donnée à la subjectivité et la nécessité d’aller vers la mystique. Actuellement le rôle de la spiritualité est clairement considéré comme inhérent à l’activité religieuse.

Le caractère volontariste de la recherche d’efficacité dans l’option pour les pauvres doit faire place à la dimension spirituelle, mystique, gratuite. On doit prendre en considération la religiosité tant du pauvre que de celui qui fait l’option pour les pauvres. On ne peut pas violenter l’univers culturel religieux des pauvres en l’envahissant de slogans politiques. Le militant lui-même a besoin de cultiver son côté religieux. On se rend compte aujourd’hui que la religiosité populaire n’a pas assez été prise en compte dans les modalités concrètes de l’option pour les pauvres. On la considérait davantage comme une entrave et une aliénation que comme une condition nécessaire pour atteindre son but. Il est vrai qu’on a commencé à revoir ce point depuis quelque temps déjà. Certaines forces néoconservatrices de l’Église ont contribué à leur façon à cette révision. En voulant conserver cette religiosité de manière protectionniste elles ont obligé intervenants et théologiens de la libération à réfléchir à une façon libératrice de la considérer.

Le mouvement néoconservateur a mis le doigt sur la plaie du moment. Le phénomène de sécularisation a produit un double effet. D’une part, du fait de la privatisation de la religion, il a délité le phénomène religieux en un véritable fatras d’expressions religieuses. D’autre part, il a fortement frappé les institutions religieuses officielles. Il a diminué la visibilité. Th. Luckmann a qualifié ce phénomène de « religion invisible ».

L’effacement des contours visibles de l’Église catholique a provoqué la réaction inverse qui a consisté à les accentuer. Il y a là, sans doute, quelque chose d’authentique et de profond, malgré ce qu’il y a d’exagéré et de rétrograde dans tout mouvement conservateur. La religion a besoin de paramètres objectifs pour ne pas se perdre en un amalgame syncrétique d’expressions religieuses. L’option pour les pauvres s’était trop détachée du champ visible de l’Église catholique, dans un véritable œcuménisme social. Par delà l’élément positif que représentaient les alliances avec toutes les forces libératrices de la société, il lui a manqué, sans doute, de souligner davantage le caractère chrétien et ecclésial de ce choix. Cette alerte néoconservatrice appelle à une révision de l’aspect trop séculier de l’option pour les pauvres.

Les points essentiels

Pour nous résumer, on peut dire que la tradition Medellín-Puebla se trouve confrontée à diverses situations d’usure :

 la chute du socialisme et le triomphe du néolibéralisme ont porté atteinte à la perspective utopique de l’option pour les pauvres qui était de couleur socialisante ;

 l’option pour les pauvres dans sa phase politique doit renoncer à tout avant-gardisme d’une instance qui en détiendrait le secret ;

 l’option en faveur des pauvres ne peut pas être radicalement limitée à une unique forme socio-politique en dehors de laquelle toute autre serait dépourvue d’authenticité ;

 une option pour les pauvres basée sur une lecture uniquement socio-structurelle de la réalité s’est révélée réductionniste, payant ainsi un tribut excessif à la pensée économiciste de la modernité ;

 l’insistance actuelle sur la subjectivité et sur la spiritualité a mis l’accent sur l’insuffisance de ces dimensions dans l’option pour les pauvres telle que nous l’avons vécue.

 la théologie de la libération elle-même a reconnu en théorie diverses modalités d’insertion dans le monde des pauvres, même si elle a privilégié le plus radical ;

 l’option pour les pauvres ne peut pas être en dissonance avec la dimension religieuse du peuple ;

 l’option pour les pauvres a besoin d’adopter des vêtements plus ecclésiaux sans perdre sa dimension d’alliance avec tous les mouvements humanitaires.

Ce paragraphe annonce, sans doute, déjà beaucoup sur la nouvelle perspective de l’option pour les pauvres. Pour autant, il reste encore à approfondir.

Un premier pas consiste à élargir le concept de pauvre. La pauvreté était vue dans sa dimension première et principale d’absence des biens fondamentaux pour vivre. Et ceci non pas en raison des conditions naturelles mais comme fruit d’un système injuste de relations d’expropriation, comme on l’a vu plus haut.

Dans le cadre de Puebla, un important débat sur le problème culturel s’est ouvert. Deux conceptions pastorales s’opposaient, si l’on peut dire. La pastorale de la libération insistait sur la transformation des structures socio-politiques et économiques. Et toute déviation dans l’attention portée à cette réalité tombait sous le coup du soupçon. Un autre courant s’attachait à la menace énorme que représentait une culture moderne, européenne, sécularisante, qui allait miner le sentiment religieux populaire. On considérait alors que cette discussion allait dans le sens d’un déplacement indu de la question cruciale de la pauvreté sur notre continent vers la question de la culture, étrangère au processus de libération. D’où l’attitude critique des théologiens de la libération face aux premières propositions de Puebla, qui étaient entendues comme un projet de création d’une culture chrétienne dans une chrétienté nouvelle ou une « chrétienté tropicale ».

Cette première tentative d’insérer l’option pour les pauvres dans un contexte culturel fut repoussée. Les changements commencent à se produire tant à partir des commentaires faits au document final de Puebla qu’à partir des nouveaux problèmes qui surgissaient. Concernant le premier point, ce qui fut décisif fut la prise de position herméneutique de J. C Scannone, lorsqu’il interpréta le concept de culture utilisé à Puebla, non pas dans une perspective culturaliste, refusée par les théologiens de la libération, mais à un niveau humain-intégral, qui embrassait les structures. Ainsi se trouvait garantie l’intuition centrale de la théologie de la libération en ce qui concerne le noyau même de l’option pour les pauvres. Voici ce qu’affirme, en effet, le penseur argentin : Puebla « désigne avec précision où se trouve la base de la culture, point de départ d’une évangélisation libératrice qui va s’étendre jusqu’aux structures à transformer : dans les valeurs religieuses - ou non-valeurs -, car c’est ce qui renvoie au sens ultime de la vie et à la coexistence entre les hommes. » De ce point de vue, nous en sommes déjà au stade d’un élargissement de la lecture socio-structurelle de Medellín au profit d’une compréhension plus complexe et inclusive. Ainsi « l’option pastorale de Puebla en faveur de l’évangélisation de la culture ne s’oppose pas mais se conjugue intrinsèquement avec son option préférentielle pour les pauvres, qui sont ceux qui, en Amérique latine, ont le plus résisté à l’alignement culturel et ont le plus préservé la culture commune, produit du métissage culturel. Cette culture a été évangélisée au plus profond de son sens ultime et de ses valeurs, de sorte que le catholicisme populaire latino-américain produit le fruit précieux de l’inculturation de la foi. »

Les Noirs, les indigènes, les femmes

D’autres provocations pour élargir le champ de l’option pour les pauvres sont venues de secteurs plus impliqués avec la culture noire, indigène. Déjà au Congrès international œcuménique de théologie qui s’est déroulé à São Paulo en 1980, J. Cone interpellait les théologiens de la libération pour le manque d’attention à l’égard de l’oppression raciale, et par conséquent, la libération correspondant à ce domaine. Le Noir apparaît comme doublement pauvre. Dans leur immense majorité les Noirs sont pauvres économiquement. En plus de cela, ils subissent un préjugé racial, qui vient ajouter un autre niveau d’oppression.

À côté de la perspective libératrice dans le cadre de l’oppression ethnique, c’est de la part des femmes qu’est venue l’impulsion pour élargir l’espace de l’option pour les pauvres. En dehors de toute considération de classe, la femme, dans presque tous les secteurs, subit une discrimination. Lorsqu’elle est pauvre l’exclusion est encore plus lourde. Et lorsqu’elle est noire et pauvre elle tombe sous le coup d’une triple oppression. Lors de la Campagne de fraternité avec la population noire au Brésil, en 1988, le texte fondamental de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) a clairement abordé cet aspect. Lorsqu’il décrit la situation de la femme chef de famille, il constate la discrimination générale dont la femme est l’objet. Mais si l’on compare une femme blanche à une noire, cette dernière reçoit un salaire inférieur. Il y a donc double discrimination.

Dans une étude sur le concept de pauvreté Gustavo Gutierrez fait état de son évolution. Cela faisait un certain temps déjà qu’il insistait sur le fait que dans l’ensemble des matériellement pauvres il existe « des races méprisées », « des cultures marginalisées » « des femmes doublement discriminées ». Ce sont là des aspects qui dépassaient déjà la stricte dimension socio-économique.

Mais J. Louis observe que dernièrement G. Gutierrez insiste sur deux points : « Pauvreté signifie mort : mort injuste, mort prématurée des pauvres, mort physique » et aussi « mort culturelle ». En outre, Gustavo Gutierrez reconnaît que « le pauvre a souvent une culture avec ses valeurs propres ; être pauvre implique une façon de vivre, de penser, d’aimer, de prier, de croire et d’espérer, de passer son temps libre, de lutter pour la vie. Être pauvre aujourd’hui signifie aussi et de plus en plus s’obstiner à lutter pour la justice et pour la paix, défendre sa vie et sa liberté, rechercher une plus grande participation démocratique aux décisions de la société, de même que s’organiser « pour vivre intégralement sa foi » (Puebla, n. 1137) et s’engager dans la libération de toute personne humaine. » En d’autres termes le concept de pauvreté prend fortement en compte la connotation culturelle, sans perdre de vue le réalisme de la pauvreté réelle.

Véritable anthropologie du pauvre, une œuvre lumineuse qui enrichit le concept de pauvre et jette une nouvelle clarté sur l’option pour les pauvres, a été écrite par F. Carrasquilla. Il va au plus profond de l’être et de l’existence, avec leurs richesses et leurs faiblesses. Derrière le pauvre, il y a, selon le témoignage d’un émigrant colombien d’Antioquia, un être qui est « sans racines ». Il met en parallèle avec le concept classique de pauvreté, qui s’est forgé dans un contexte européen, le concept actuel d’origine latino-américaine. Selon la conception européenne « être pauvre » est un malheur, quelque chose de négatif et de mauvais. On étudie donc les causes de la pauvreté pour les percer à jour. On valorise le pauvre, non en tant que pauvre mais simplement en tant que personne humaine, aimée de Dieu et de Jésus-Christ. D’une telle conception découlèrent des œuvres charitables et éducatives aujourd’hui en crise. On nie l’identité du pauvre et on présente, au moins implicitement, le riche comme le modèle d’être humain.

Le pauvre en vérité a un double visage, positif et négatif. À la base on part du fait qu’être pauvre c’est être dépourvu de biens matériels. C’est là une qualification existentielle et non morale. Être pauvre c’est une donnée de l’existence qui, en elle même, n’est ni bonne ni mauvaise. Un premier pas consiste à prendre conscience de la façon dont le pauvre considère la réalité, perçoit et ressent les choses, voit le monde. Par exemple il ne perçoit pas la rue de la même façon que celui qui la parcourt en automobile.

Le pauvre ne se définit pas par ce qui lui manque

La pauvreté a un côté destructeur, qui provoque une détérioration de l’existence et de la culture de l’individu. Une telle réalité est inséparable de la pauvreté, alors même que la pauvreté ne s’identifie pas à elle. Il y a chez le pauvre, en raison même de la pauvreté, une destruction physique, psychique et culturelle. Et cela est un mal.

Ce qui est positif pour le pauvre c’est qu’il ait, à lui, quelque chose en propre : une vision du monde, une obstination à surmonter sa propre destruction. Le pauvre ne se définit pas par ce qui lui manque mais par ce que lui il est. D’où il s’ensuit que nul ne peut libérer le pauvre. Lui seul peut découvrir sa propre valeur et lutter contre sa destruction. L’option pour le pauvre consiste à rechercher qu’il développe lui-même sa propre vision du monde et lutte contre sa propre destruction. Cela implique de notre part des attitudes nouvelles : donner la priorité à la relation interpersonnelle de respect, valoriser la compréhension du pauvre, affronter le problème de ses besoins de base car l’absence de solution dans ce domaine est en soi mauvaise, distinguer entre donner (distance objective) et partager (engagement personnel). Dans le cas extrême de la survie il faut agir sans poser de questions.

À partir de cette conception nouvelle de ce qu’est le pauvre, on recherche une vision qui intègre toutes les formes de pauvreté (matérielle, culturelle, humaine, morale, intellectuelle, etc.) et une compréhension de ce qu’est le riche. Le fait d’être riche implique une vision du monde avec des valeurs et des contre-valeurs qui doivent être analysées et qui comportent aussi des éléments destructeurs de la personne humaine comme l’égoïsme, l’oisiveté, le mépris et l’oubli de l’autre, etc.

Ce concept neuf permet de rendre au pauvre son identité et sa dignité, répond aux questionnements nouveaux soulevés dans le travail avec le pauvre et permet de comprendre la situation de ceux qui ne sont pas pauvres, c’est-à-dire de l’être humain en général.

L’exclu

Un autre point mérite une attention spéciale. Plutôt que de pauvres, on parle surtout d’« exclus ». D’où vient un tel déplacement sémantique ? Sans doute reflète-t-il un changement dans la réalité.

Le terme « exclu » ne se comprend que si l’on sait par rapport à quelle instance s’est produit l’éloignement. Son sens couvre une infinité de champs. Un divorcé peut se sentir « exclu » de l’Église catholique lorsqu’on lui refuse la communion. Un Noir brésilien lorsqu’il mit le pied en territoire africain se sentit exclu. Il ne faisait partie ni des dominateurs blancs ni des natifs noirs. On peut imaginer les scénarios les plus divers.

Dans le système capitaliste néolibéral actuel, le marché est l’instance qui fonde l’identité. C’est par rapport à lui que se fait l’inclusion ou l’exclusion. Si on le prend comme référence de base, on est au plus haut degré intégré dans le système lorsqu’on est immergé dans le marché financier, car c’est lui le principal moteur de l’économie capitaliste globalisée. Ce sont ceux qui détiennent et orientent les méga-investissements, les flux économiques qui font circuler les milliards de dollars entre les bourses, qui constituent le cœur même du système.

Au fur et à mesure que l’on s’éloigne de ce point central d’inclusion, on entre dans des cercles de plus en plus grands d’exclusion, jusqu’à celui des absolument exclus. Là sont les misérables qui vivent de déchets, qui n’ont aucune prise sur le marché. Et vice versa. Plus on s’approche de la condition de marginalisé par rapport au marché, plus on est exclu.

Exclusion, chômage, relations humaines

Une des phases perverses du phénomène d’exclusion est le chômage. Le chômeur souffre davantage encore, du fait qu’il était intégré dans le marché avec son salaire et ses achats. Soudain il se voit expulsé de son emploi, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, pour parvenir à maintenir un minimum d’inclusion grâce à quelque travail, quelque « petit gain ».

Dans la mesure où le chômage augmente, le nombre des exclus croît. Et lorsque les salaires sont infamants, ce qui est le cas en bien des endroits de notre continent, la capacité de participation au marché est minime. D’où une plus grande exclusion. C’est pourquoi H. Assman disait que la création des exclus par le système est un fait plus important que celui de l’existence des pauvres. Dans notre cas les deux problèmes s’additionnent.

Il en est ainsi dans notre société de capitalisme tardif globalisé. Ce n’est cependant pas inéluctable. C’est une donnée historique surgie de la façon dont l’Occident a construit ses relations sociales. On peut envisager une société alternative.

Le cas s’est produit du choix des relations humaines comme référentiel principal de l’exclusion et de l’inclusion. Les options iront alors dans une autre direction. Elles n’auront pas pour but d’inclure les individus dans le marché, mais d’améliorer leur capacité relationnelle. Et à partir de ce pôle on peut envisager d’autres relations y compris économiques. Nous construirions ainsi une société bien différente de l’actuelle.

Le questionnement angoissé de ceux qui font l’option pour les pauvres vient se heurter à la réalité actuelle de la place centrale du marché. Actuellement aucune intégration n’est envisageable si elle ne passe pas par le marché. Mais une telle façon de voir est appauvrissante, réductionniste. Elle ne développe pas la richesse humaine présente dans les pauvres, mais au contraire les oblige à entrer dans un monde de valeurs bien différent de celui qui constitue leur richesse.

En se fondant sur cette dimension de la relation humaine qui, en langage sociologique, traduit la réalité de la communion inhérente à l’être humain du fait qu’il a été créé par la communion trinitaire, divers auteurs ont pensé à une « économie de communion ».

L’expansion capitaliste

La grande difficulté pour réfléchir à une issue économique à la situation actuelle réside dans le fait que le système capitaliste est pour l’instant en expansion. Sa crise majeure n’est pas strictement économique, ou si l’on veut, n’est pas strictement financière, mais éthique, humaine. Comment imaginer une transformation économique lors même que les principaux gérants de l’économie réalisent des gains astronomiques et que ceux qui perdent et souffrent sont les faibles, les moins organisés. Comment envisager de déplacer une équipe qui gagne, et qui gagne beaucoup ?

Tant que la crise éthique ne ronge pas le système et ne le fait pas s’effondrer - à supposer qu’elle y parvienne - il demeure difficile de proposer un autre système viable qui serait construit à partir de considérations non économiques. Il faut parier sur la conscience éthique de l’être humain. Malgré une résurgence de l’éthique de toutes parts, la trinité néolibérale continue à régner : le capital, père tout puissant, le marché comme messie, et l’esprit de la libre initiative. En pleine idolâtrie du capital, comment parler de la Trinité de la communion et de l’amour ? Voilà un grand défi.

On peut résumer ainsi les nouveaux aspects de l’option pour les pauvres :

 Après un temps d’incertitude concernant la prise en compte de la pauvreté d’un point de vue culturel, on a élargi à cette dimension la compréhension que l’on avait d’elle.

 Une interprétation humaine intégrale de la culture selon le document de Puebla a contribué à ce changement.

 Les analyses critiques des secteurs engagés aux côtés des cultures noires et indigènes ont articulé le concept de pauvreté socio-structurelle avec celui de discrimination raciale.

 Le mouvement féministe, la théologie et la pastorale féministes ont également imposé un élargissement du concept de l’option pour les pauvres en incluant les femmes parmi les discriminés et dans bien des cas doublement ou triplement pauvres.

 Une réflexion approfondie sur l’anthropologie du pauvre a provoqué une importante transformation dans la compréhension de la réalité du pauvre en mettant en évidence sa double valence faite de négativité et de potentialité positive.

 Le lent passage de pauvre à exclu révèle une situation nouvelle dans laquelle le capitalisme néolibéral donne au marché une place centrale et classe les personnes par rapport à lui.

 Réfléchir à une situation économique alternative qui se développerait à partir de critères non économiques est un des défis majeurs pour une utopie qui aille dans le sens de l’option pour les pauvres.

Conclusion

En guise de conclusion on peut utiliser l’alarme tirée par L. Boff dans l’un de ses livres. Le cri de la terre doit se joindre au cri des pauvres. La terre est le plus grand des pauvres. Si elle meurt nous mourrons tous. La pauvreté injuste et la richesse insouciante sont les principaux facteurs qui engendrent la destruction de notre planète. Seule la justice en diminuant la pauvreté et en repoussant les limites du gaspillage des riches pourra sauver les pauvres et la terre.

Libérer la Terre

Non seulement les pauvres doivent être libérés, mais aussi tous les êtres humains. Nous vivons tous esclaves d’un système qui nous rend ennemis de la nature. Ce ne sont pas seulement les pauvres qui crient, mais la terre aussi crie contre nos attaques systématiques.

La théologie de la libération insiste pour que l’on retrouve le caractère sacré de la terre et le respect des traditions spirituelles des cultures opprimées qui, en général, honorent la terre comme la Grande Mère.

Leonardo Boff,

La globalización vista por un teólogo,

Pastoral Popular


Théologie de la libération et théologie politique européenne

Il m’a été souvent demandé ce que la nouvelle théologie politique européenne et la théologie de la libération latino-américaine avaient en commun. Je dirais que les deux sont nées d’un sursaut face au peu de choses que l’on pouvait noter, lire et entendre dans la théologie chrétienne au sujet de l’histoire des souffrances sanglantes de l’humanité. Les deux ont compris qu’il fallait abandonner un universalisme sans sujets, sans lieux, en un certain sens sans êtres humains concrets, une sorte d’idéalisme historique… La théologie de la libération se laisse interrompre dans sa volonté de systématisation par le visage des pauvres et cela la caractérise comme post-idéaliste, de même que la nouvelle théologie politique.

Jean-Baptiste Metz, Teología del concilio y compasión política,

Reflexión y Liberación, juin-août 2000


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2433 bis.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : revista CLAR, janvier-février 2000.

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[1Clodovis Boff - J. Pixley, Les pauvres. : choix prioritaire, Paris, Cerf, 1990(Opç¦ao pelos Pobres, Voix, Petropolis, 1986). A. Barreiro, Os Pobres e o Reino. Do Evangelho a João Paulo II (Les pauvres et le royaume. De l’Évangile à Jean Paul II), São Paolo, Loyola 1983.

[2M. Mollat, Les pauvres au Moyen-Âge. Étude sociale, Paris, Hachette 1978.

[3Centrum Ignatium Spiritualitatis, Contemplativos en la acción. Respuesta al P. Arrupe (Des contemplatifs dans l’action. Réponse au P. Arrupe), CIS 7 (1977) n. 25, p. 3-108.

[4J. Sobrino, La experiencia de Dios en la Igleisa de los Pobres (L’expérience de Dieu dans l’Église des Pauvres), dans : Jon Sobrino, Resurrección de la Verdadera Iglesia. Los Pobres, lugar teológico de la Eclesiología (Résurrection de la Véritable Église. Les Pauvres, lieu théologique de l’Ecclésiologie), Santander, Sal Terrae, 1981, p. 143-176 ; J. B Libanio, A vida religiosa no pos-Concilio. Um modelo concreto na América Latina (La vie religieuse dans l’après Concile. Un modèle concret en Amérique Latine), Convergence 22 (1987) p. 40-54 ; CLAR 25 : (1987) p. 3-15.

[5P. F. C. de Andrade, Fé e eficácia. O uso da sociología na teología de libertação (Foi et efficacité. De l’usage de la sociologie dans la théologie de la libération), São Paolo, Loyola, 1991.

[6Dans son exposé aux Rencontres « El Escorial », R. Ames disait clairement que « le contenu socilliste (selon lui)... ne signifie pas option partisane spécifique, moins encore identification non critique avec les régimes socialistes de l’est de l’Europe ou de Chine. C’est une ligne d’orientation qui surgit d’une solidarité lucide avec les classes populaires d’Amérique Latine, non pas un modèle tout prêt appliqué mécaniquement ». R. Ames Cobian, Fatores econômicos y forças políticas no processo de libertação (Facteurs économiques et forces politiques dans le processus de libération), dans : Instituto Fe y Secularidad, Fe Cristã e transformação social na América Latina (Foi Chrétienne et transformation sociale en Amérique latine), Encontro de El Escorial, 1972, Petropolis, Vozes, 1977 p. 54.

[7Frei Betto, Fome de pão e de beleza (Faim de pain et de beauté), São Paolo Siciliano 1990, particulièrement dans : O socialismo morreu. Viva o socialismo ! (Le socialisme est mort, vive le socialisme), p. 260ss et passim. L. Boff, Implosão do socialismo e teología da libertação (Implosion du socialisme et théologie de la libération), dans : Tempo e Presença 12 (1990) n. 252 : ce numéro tout entier est dédié à ce problème ; L. Boff, « Implosão do socialismo autoritário e a teología de libertação » (Implosion du socialisme autoritaire et théologie de la libération), dans REB 50 (1990) n. 200, p. 76-92 ; « Socialismo e socialismos » (Socialisme et socialismes), dans : Lua Nova, São Paolo n. 22, décembre 1990 ; « Debate - Adios al socialismo » (Débat-Adieu au socialisme), dans : Novos Estudos CEBRAP n. 30, São Paolo, juillet 1991 p. 7-42.

[8J. Y Calvez, « Quel avenir pour le marxisme », dans Etudes 373 (Nov. 1990)p. 475-485.

[9Cl. Julien, Le Monde Diplomatique, fev. 1990 cité. par L. A. Gomez de Souza, « Dimensão libertadora da crise do socialismo » (Dimension libératrice de la crise du socialisme), dans Tempo e Presença 12 (1990) n. 252, p. 9.

[10J. B. Libanio, A Volta a Grande Disciplina (Retour à l’ordre), São Paolo, Loyola, 1983 ; Trad. espagnole, Buenos Aires, Paulinas 1986.

[11« Le neoconservatisme, un phénomène social et religieux », dans Concilium, N. 161-1981/1 F. Cartaxo-Rolim, « Neoconservadorismo eclesiástico e uma estratégia política » (Le Néoconservatisme ecclésiastique et une stratégie politique), dans : REB 49 (1989) p. 259-281.

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