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VENEZUELA - Où en sont les droits humains, économiques, sociaux et culturels des Vénézuéliens ?
Humberto Márquez
dimanche 1er février 2004, mis en ligne par
L’organisation non gouvernementale PROVEA (Programme vénézuélien d’éducation-action aux droits humains) sort annuellement un rapport sur les droits humains au Venezuela. Dans un pays où les positions sont très polarisées, PROVEA reste une source très fiable sur le Venezuela. Aussi, dans l’article ci-dessous, la parole est-elle largement donnée à Carlos Correa, coordinateur général de cette institution. En plus de cet article paru dans IPS en décembre 2003 sous la plume de Humberto Márquez, nous publions ci-dessous un extrait de la note de presse publié le 10 décembre 2003 par PROVEA sur la situation des droits humains au Venezuela.
Sitôt les feux tricolores passés au rouge, Angel Diaz se faufile en vitesse entre les voitures en présentant un chiffon d’étoupe sale et en proposant le « nettoyage » rapide du pare-brises, en échange d’une pièce. Malgré son aspect patibulaire, quelque conducteur par-ci par-là accepte l’offre de service avant que la couleur des feux n’ordonne d’avancer.
« J’ai travaillé comme maçon, aide-plombier et charpentier, puis j’ai eu un étal (kiosque de rue) de sandales mais je me suis retrouvé sans le sou et je n’ai pas pu continuer » a raconté Diaz à IPS au coin d’une rue de la capitale du Venezuela où chaque après-midi il essaye de réunir assez d’argent pour se nourrir, lui et sa femme.
Sa compagne, Mathilde, travaillait comme employée de maison pour une famille de la classe moyenne, mais « l’entreprise où travaillait son patron a réduit son personnel, alors on l’a congédiée elle aussi. Une chance que nous n’ayons pas d’enfant. »
Pour Diaz, « ce qu’il peut arriver de pire c’est de tomber malade ou de me faire renverser par une voiture, et ce qu’il y aurait de mieux ce serait que l’ordre revienne dans le pays, que les politiques arrêtent de se chamailler et qu’il y ait davantage de travail ».
La pauvreté dans laquelle vit Diaz touche 40% des 25 millions d’habitants et c’est une caractéristique qui traverse tout le panorama des droits humains dans le pays selon le dernier document annuel (octobre 2002-septembre 2003) de la principale organisation non gouvernementale qui réfléchit sur le sujet, le Programme vénézuélien d’éducation-action aux droits humains (PROVEA).
De plus, Carlos Correa, coordonnateur général de PROVEA, a dit à IPS que, du fait de la pauvreté, mise en évidence par une détérioration importante de l’emploi et des salaires, la situation des droits humains est aggravée par le manque d’énergie de l’État pour garantir et protéger ces droits et par la façon dont nous, Vénézuéliens, vivons le conflit politique.
« Ce qui est grave ce n’est ni le conflit en soi ni la confrontation, mais les incapacités des acteurs politiques face à gérer insitutionnellement les désaccords et à réduire la violence dans le conflit », selon Correa pour qui cette façon d’assumer la lutte politique empêche d’élaborer des accords ou des consensus afin de faire face aux drames sociaux.
Le défenseur du peuple, Germán Mundaraín considère que « le cas le plus grave de violation des droits humains qui soit au Venezuela est celui des droits économiques, sociaux et culturels des Vénézuéliens ».
Le chômage
PROVEA fait remarquer que le taux officiel de chômage se situait en septembre à 17,8% soit 1,6% de plus que l’année précédente dans ce pays qui est l’un des principaux exportateurs de pétrole au monde. En février, suite à la grève de 63 jours observée par des chefs d’entreprises, des syndicalistes et des employés du pétrole qui sont dans l’opposition, et qui s’est traduite par la faillite d’entreprises, ce taux a atteint 20,7%.
Le manque à gagner sur la base du salaire minimum (156 dollars par mois) en ce qui concerne le panier alimentaire de base est de 21% selon des sources officielles et de 48% selon le syndicat d’enseignants de l’opposition. Il y a eu une augmentation de 1% des moins de 15 ans mal alimentés, soit 12,4% de cette fraction de la population.
Les programmes du gouvernement de Hugo Chávez comme les distributions populaires d’aliments « se révèlent sporadiques dans leur mise en œuvre et insuffisants quant à leur impact », d’après PROVEA. Rafael Alfonso, un opposant à Chávez, qui dirige la Chambre d’industrie alimentaire, a dit que la consommation d’aliments conditionnés a diminué de 15,4% en 2003 par rapport à l’année antérieure.
Des médecins cubains
Au plan sanitaire, PROVEA regrette l’insuffisance du budget (1,8% du produit intérieur brut, très loin des 5% conseillés par l’Organisation mondiale de la santé) et a enregistré 90 revendications relatives au droit à la santé, mais reconnaît les effets bénéfiques du programme « Au cœur des quartiers » développé par le gouvernement avec des centaines de médecins cubains. Les médecins cubains pénètrent dans les faubourgs populaires de Caracas et d’autres villes, grâce à un accord entre les gouvernements de Cuba et du Venezuela et malgré la protestation élevée par quelques syndicats de médecins vénézuéliens. PROVEA plaide en faveur d’une solution à ces conflits et d’une garantie de maintien de ces programmes.
Éducation
Dans le secteur éducatif, PROVEA note que 1,8 million de fillettes, de garçons et d’adolescents de 3 à 19 ans ne fréquente aucun centre d’éducation. Ces chiffres cependant sont antérieurs au lancement en mai d’une série de programmes qui ont conduit sur les bancs de l’école des centaines de milliers de personnes d’âges et de degrés d’instruction divers.
Selon cette étude, parmi les enfants exclus de l’éducation, 89% sont pauvres.
L’organisation constate que la grève organisée par l’opposition il y a un an a fait perdre aux scolaires 38 jours ouvrables de classe et reconnaît que dans la période pendant laquelle ce dossier a été établi, l’inscription à la scolarité a enregistré une hausse historique de 5,6%.
Le droit à la terre
Concernant le droit à la terre, PROVEA salue l’adjudication par le gouvernement de 1,1 million d’hectares à des paysans, mais ceci dans un cadre conflictuel car l’absence de cadastre ne permet pas de déterminer quelles sont les terres privées et quelles sont celles de l’État.
Quatre dirigeants du secteur agraire ont été assassinés entre janvier et septembre. Ce n’est qu’une des manifestations de la violence politique dont le bilan en 2002 et 2003 a été de « 83 morts et plus de 200 blessés » a indiqué à IPS le coordonnateur du secteur des recherches de PROVEA, Antonio González.
Violences
Pendant les deux dernières années, le Venezuela a vécu une situation d’affrontement aigu entre Chávez et ses opposants qui cherchent à le déloger du pouvoir avant le terme de son sexennat (2000-2006) bien que la violence ait diminué depuis que, en mai, les parties en présence se soient mises d’accord pour trouver une issue électorale à la crise.
Mais la violence criminelle frappe la population beaucoup plus que la politique. Dans ce pays de 24 millions d’habitants, il y a eu 9 617 homicides en 2002, soit 21% de plus qu’en 2001 et la tendance s’achemine vers une nouvelle augmentation cette année. González a fait remarquer : « La violence est génératrice d’une augmentation de l’exclusion et aggrave la pauvreté. »
Une étude du Centre pour la paix de l’Université centrale de Caracas a montré qu’en 1975 avec un taux de 25% de la population en situation de pauvreté, le taux d’homicides était de 12 pour 100 000 habitants et celui des vols de 23 pour 100 000. L’an passé avec un taux de 40% de pauvreté la proportion des homicides a été de 42 et celle des vols de 170 pour 100.000 habitants.
Pour maîtriser la dégradation du respect des droits humains, PROVEA propose « un accord politique qui englobe la totalité du pays dans sa diversité avec une vaste participation sociale et tel qu’il prenne en compte la maîtrise de la pauvreté comme principal défi national ».
La situation du pays est « une situation de crise vieille de plusieurs années et l’appauvrissement constant est un de ses aspects. La crise vénézuélienne ne porte le nom de personne et ne peut se résoudre à travers le maintien ou le départ d’un président » a conclu Gonzalez.
IPS, décembre 2003.
Des éléments positifs
Antonio González Plessman, coordonnateur du secteur de recherche de PROVEA a mis en évidence, par exemple, que « l’augmentation des inscriptions scolaires a atteint 5,6%, soit le chiffre le plus élevé de la dernière décennie, l’inscription a augmenté à tous les niveaux du système éducatif et majoritairement dans l’enseignement secondaire : 9,6%. La participation sociale dans l’accès au logement s’est accrue : dans le processus de régularisation des terrains urbains on a octroyé 30 000 titres de propriété, 3 000 comités de terrains urbains ont été créés ainsi que 1 050 cabinets techniques de consultation sur l’eau ; en outre 1 171 925 hectares de terres agricoles ont été attribuées suivant des directives politiques conformes au droit à la terre. De même la diminution des violations du droit à manifester s’est poursuivie et a atteint le taux le plus bas enregistré par PROVEA ».
Pour améliorer la situation des droits humains, PROVEA insiste sur la nécessité d’un accord politique qui englobe dans sa totalité la diversité politique et sociale du pays, faisant une large part à la participation sociale. « Négocier n’est pas trahir des principes, des promesses électorales ou des postulats constitutionnels, mais chercher des accords stratégiques et si cela n’est pas possible se mettre d’accord sur les modalités démocratiques pour faire évoluer les désaccords. Cela suppose des organisations sociales et des partis politiques forts, honnêtes, participatifs, représentatifs du pays et ayant capacité à négocier » a indiqué Correa. En outre il faut vaincre la pauvreté en s’appuyant sur le renforcement des voies institutionnelles et sur la participation. C’est là le défi principal du pays : « On ne peut pas aujourd’hui parler de démocratie sans justice sociale. C’est pourquoi, a conclu Gonzalez Plessmann, il est fondamental de renforcer le rôle de l’Etat en tant que promoteur principal de cette justice, en même temps qu’il faut l’amener à plus de démocratie et de transparence ainsi que le soumettre à des contrôles populaires constants, comme l’indique le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU. »
PROVEA, Note de presse du 10 décembre 2003
Le point de vue d’Eduardo Galeano
A une question lui demandant si le président Chávez n’était pas en train de devenir un dictateur, Eduardo Galeano, écrivain uruguayen, auteur du célèbre livre Les veines ouvertes de l’Amérique latine, répond : « Non, la liberté qui existe au Venezuela est étonnante. Les journaux disent ce qu’ils pensent, les grands moyens de communication sont dans l’opposition au gouvernement. Avec toutes ses contradictions et ses limites, ses aspects populistes, parfois démagogiques, je considère que Chávez est un homme qui a de bonnes intentions et qui prétend transformer un pays qui est celui de peu de gens en un pays pour tous. »
Entretien réalisé par Janaína Figueiredo, paru dans O Globo (Brésil), 28 décembre 2003
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2700.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : voir à la fin de chaque texte.
En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.