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DIAL 2558
BRÉSIL - Renault et la réforme agraire
Jelson Oliveira
jeudi 16 mai 2002, mis en ligne par
Le contraste entre le sort fait à Renault et la façon dont les paysans sans terre sont traités dans l’État du Paraná est révélateur de choix économiques et sociaux où la priorité est accordée au marché et non pas à l’homme. Texte de Jelson Oliveira, secrétaire exécutif de la Commission pastorale de la terre du Paraná, et Coordinateur national de la Commission dominicaine brésilienne Justice et paix.
Le Paraná compte une population totale de 9 046 000 habitants, dont 1 991 000 vivent en milieu rural. L’État, qui est situé dans la partie sud du Brésil, a une superficie de 198 622 km2 et comprend 399 communes. En dépit de la politique de transformation du profil économique qui a été mise en œuvre dans les cinq dernières années, l’économie du Paraná reste essentiellement fondée sur l’agriculture. Il est l’un des principaux producteurs de céréales du pays, et réalise presque 25 % du produit national. Selon les projections de l’IPARDES (Institut paranéen de développement économique et social), le PIB (produit intérieur brut) devrait doubler au cours des dix prochaines années, et s’accroître de 85,6 % d’ici à 2007. Ainsi l’économie du Paraná se maintiendrait au quatrième rang parmi celles des États du Brésil. Ce résultat proviendra d’une part des investissements nouveaux ou de l’expansion des unités de production (notamment l’installation de grandes industries d’assemblage automobile, concentrées sur trois pôles économiques stabilisés) et d’autre part du développement des infrastructures, auxquelles seront consacrées des ressources supérieures à 10 milliards de dollars dans les cinq prochaines années. Or ces investissements nouveaux, considérés comme le “salut économique” de l’État, ont un coût social terriblement élevé. C’est précisément ici qu’entre en scène Renault, l’entreprise française bien connue dans le secteur automobile, installée au Paraná depuis 3 ans. Elle a bénéficié de travaux publics sur les infrastructures et d’avantages fiscaux tels que 4 ans de franchise pour le paiement de l’impôt sur le commerce des biens et des services (ICMS) et l’exemption de l’impôt territorial urbain (IPTU) sur 10 ans. Elle a obtenu des terrains équipés, des financements à coût réduit par le Fonds de développement économique (FED), et la mise à disposition de l’énergie électrique, de l’eau, des routes, de l’aéroport, etc. Le soi-disant bénéfice social, cependant, reste un mirage : outre le fait que ces entreprises créent peu d’emplois, elles exigent une main-d’œuvre très qualifiée, d’où s’ensuit une forte discrimination entre les travailleurs.
Ainsi, l’entreprise Renault et la réforme agraire sont en opposition. Chacune d’elles représente des intérêts de classes différentes et, du même coup, deux modèles de société : l’un fondé sur le marché et l’autre sur la personne humaine. Pour comprendre la signification de tout cela, il suffit de constater comment la politique de réforme agraire a été traitée au moment de l’installation de Renault dans l’État du Paraná. Au moment où cette gigantesque entreprise automobile est arrivée, à grand renfort de publicité dans les médias, le gouvernement se refusait à exproprier une zone considérée improductive, où campaient au moins trois mille familles (campement de la fazenda Giacomet, que les photos de Sébastiaõ Salgado ont rendue célèbre). Le gouvernement de l’État présentait la venue de Renault comme une grande réussite, parce qu’elle créait 2 000 emplois directs, malgré leur énorme coût social.
Pendant ce temps, les paysans sans-terre de la fazenda Giacomet espéraient que le gouvernement, pour un coût extrêmement faible, créerait au moins 12 000 emplois directs avec l’installation des 3 000 familles.
Une telle politique suit dangereusement la voie néolibérale et elle est patronnée par le gouverneur actuel de l’État, Jaime Lerner, qui est en train d’altérer le profil économique de l’État : le secteur agro-industriel, base importante de notre économie au long des dernières décennies, cède la place à une “volonté industrielle”, alors que le Paraná continue à se distinguer comme étant le principal producteur de produits agricoles tels que coton, maïs, blé et haricot. En ce qui concerne le milieu rural, ce projet de développement industriel a condamné à l’abandon les travailleurs ruraux et les petits propriétaires. La structure foncière du Paraná se caractérise essentiellement par la concentration de la terre en grandes propriétés et le déclin de la petite agriculture, aggravé par l’exode rural et le chômage dans les campagnes. Les données de l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE) pour 1985 indiquent que 89,14 % des établissements, ceux de moins de 50 hectares, occupaient seulement 31,06 % de la surface cultivée du Paraná, alors que 10,83 % des propriétés occupaient 68,94 % de la surface. Ces données sont encore plus criantes si on les rapproche de la vague de répression et de violence contre les travailleurs ruraux, sans précédent dans l’histoire de l’État : depuis 1997 au Paraná ont été assassinés 16 paysans sans-terre, 489 furent emprisonnés, 324 furent blessés, 47 ont reçu des menaces de mort et 31 ont fait l’objet d’attentats. Le tout s’est produit au cours d’opérations illégales menées par la police militaire avec un impressionnant appareil répressif, à savoir 134 actions d’expulsion qui ont laissé plus de 2 000 familles sans abri.
Alors que Renault, comblée d’honneurs, arrivait sur un tapis rouge, les forces des grands propriétaires, la coalition rurale et la police militaire, unis et légitimés par le pouvoir exécutif, transformaient le Paraná en l’un des principaux foyers de violence du Brésil rural, où étaient commises de graves violations des droits de l’homme, condamnées par les instances internationales. Comme si ne suffisaient pas les difficultés sociales, d’autres éléments relatifs à la venue de Renault au Brésil sont largement remis en question par la société civile : l’entreprise s’est installée dans la plaine du Haut Iguaçu, mettant en péril la principale source d’alimentation en eau de la région métropolitaine de Curitiba. Il y a là une contravention à la législation en vigueur, car l’installation de ce genre d’entreprise, dans une région d’environnement protégé, proche de la Serra do Mar, est interdite. En outre Renault se caractérise par l’emploi d’une main-d’œuvre peu nombreuse et très spécialisée (les nouveaux investissements créent un très faible nombre de postes de travail et une procédure rigoureuse de sélection), sans rien ajouter au développement local des connaissances (la technologie de pointe reste chez les maisons-mères). Et, pendant ce temps, le gouvernement de l’État se désintéresse de la croissance des petites et moyennes entreprises locales. Ainsi, le R de Renault arrive au Brésil encouragé par un gouvernement violent et répressif, sans être associé avec le R de la Réforme agraire. C’est pourtant un projet brésilien qu’il faut mettre en œuvre de toute urgence, largement et intégralement, car c’est l’unique voie pour la paix dans le Brésil rural.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2558.
– Traduction Dial.
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