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DIAL 2560

GUATEMALA - La création d’un syndicat dans une « maquila »

jeudi 16 mai 2002, mis en ligne par Dial

Le Guatemala connaît une forte implantation de maquilas, ces entreprises de sous-traitance, filiales de multinationales en quête d’une main-d’oeuvre bon marché dans les pays d’Amérique centrale (cf. Dial D 2385, 2386, 2387, 2516, 2517, 2518). La création de syndicats y est extrêmement difficile, souvent impossible. La solidarité internationale peut cependant jouer un rôle indispensable pour aider à la formation d’un syndicat, comme le montre l’exemple ci-dessous raconté dans un article paru dans Noticias Aliadas, 26 octobre 2001.


Silencieusement, Gloria Córdoba avait passé des mois à organiser, avec quelques amis, un syndicat dans la grande maquila, propriété de coréens, où elle travaille, dans la banlieue de la ville de Guatemala. Elle savait que ce serait difficile, mais elle ne s’attendait pas à être frappée à l’intérieur de l’usine ou que des inconnus la suivent, à travers les rues boueuses, jusqu’au bidonville où elle habite. « Nous nous étions préparés pour ce que serait, pensions-nous, leur réaction, telle que la menace de fermeture de l’usine. Mais nous n’étions pas préparés à la violence » dit Córdoba qui, après une volée de coups, souffrit d’une commotion cérébrale. Córdoba s’est efforcée à faire un travail clandestin, durant un an, parmi les travailleurs des usines Choi Shin et Cima Textiles qui ont les mêmes propriétaires et partagent les mêmes installations de production à Villa Nueva, banlieue pauvre et peuplée, située à 20 km au sud de la capitale.

L’effort fut appuyé par la Fédération des syndicats des travailleurs de l’alimentation, agro-industrie et assimilés (FESTRAS) et les représentants locaux de l’AFL-CIO, la gigantesque Confédération du travail des USA, ainsi qu’un groupe syndical hollandais. Au Guatemala il n’existe aucun autre syndicat des travailleurs de maquilas. Il y en avait un qui s’était formé dans une fabrique appartenant à l’entreprise nord-américaine de vêtements Phillips-Van Heusen, mais il a disparu dans les années 90, lorsque l’usine ferma ses portes. Córdoba et ses collègues sortirent de l’ombre le 9 juillet, lorsqu’ils demandèrent en bonne et dûe forme aux tribunaux et au ministère du travail l’inscription de leur syndicat. Le lendemain, à Villa Nueva, la direction appela les ouvriers dans les bureaux et fit pression pour qu’ils signent une renonciation au syndicat, avertissant les travailleurs, en majorité des jeunes femmes, que le syndicat conduirait inévitablement à la fermeture de l’usine. De plus, les travailleurs furent soumis à des pressions en vue d’identifier les chefs de file syndicalistes. Déçus de n’avoir pu dissuader tous les ouvriers, les surveillants changèrent de tactique le l8 juillet, en formant des piquets de travailleurs anti-syndicaux en vue d’agresser les syndiqués. Plusieurs des chefs de file, notamment Córdoba, élue secrétaire générale du syndicat de CIMA Textiles, furent blessés. La violence cessa seulement après l’intervention de la police et de la mission de l’ONU au Guatemala.

Selon Teresa Casertano, chef du centre de la solidarité guatémaltèque de la AFL-CIO, la direction manipula les ouvriers terrorisés en vue de les amener à former des « escadrons du salut de l’entreprise » qui, selon Casertano, sont fréquents en Corée. « Il était clair que la direction contrôlait la situation. Les ouvriers recevaient coups de pieds et coups de poings, mais aussitôt que l’un d’eux était sur le point d’être gravement blessé, la direction intervenait pour calmer les choses » explique Casertano. En Corée, les syndicats s’exercent pour ce type de confrontation, mais ici nous inculquons aux travailleurs la patience et la non-violence. Selon Maria Mejia, de la FESTRAS, une des raisons pour lesquelles sa fédération a observé la marche des deux usines, c’est qu’elles sont surveillées par la Commission pour la vérification des codes de conduite (COVERCO) qui a passé un contrat avec Liz Claiborne, Inc. qui produit une seule marque de vêtements.

COVERCO a été formée en 1997 par des leaders guatémaltèques, de plusieurs disciplines afin de vérifier les conditions de travail dans les industries d’exportation agricole et de vêtements. Au début de cette année, COVERCO a été accrédité par la Fair Labor Association, coalition nord-américaine des défenseurs des travailleurs et des entreprises vestimentaires. A la différence de plusieurs vérificateurs accrédités par la Fair Labor Association, COVERCO a insisté pour rendre publics ses rapports, au lieu d’envoyer seulement, de façon privée, l’information aux entreprises du Nord. Elle insiste aussi pour surveiller I’application de toutes les lois internationales et nationales pertinentes, et non seulement le code du fabriquant. Bien que COVERCO soutienne les travailleurs dans leur droit à s’organiser, elle fait remarquer qu’elle n’est pas un substitut aux organisations ouvrières, position qui frustre les syndicalistes. « Ce n’est pas ce que nous avions espéré » a dit David Morales, le secrétaire général de la FESTRAS. Casertano a répondu que « les ouvriers des maquilas doivent oublier leur fausse espérance en quelqu’un de l’extérieur qui arrangerait leurs problèmes ». La direction a accusé COVERCO d’être responsable de la formation du syndicat et, durant plusieurs jours, a interdit aux vérificateurs du groupe l’entrée de l’usine. Lorsqu’ils furent enfin admis, les contrôleurs furent attaqués par les piquets antisyndicaux. L’inspectrice Ana Zapeta fut jetée à terre et traînée sur plusieurs mètres. « Ils sont audacieux. Un inspecteur d’une firme privée aurait sauté dans sa Mercedes et se serait mis à klaxonner pour qu’on lui ouvre les portes et qu’il puisse s’échapper » dit Casertano. Liz Claiborne, Inc. intervint dans la dispute par une lettre de son vice-président Robert Zane, adressée à tous les employés des deux usines, affirmant qu’un syndicat ne provoquerait pas l’annulation des contrats tout le temps que les entreprises continueraient à produire « des produits de qualité de manière compétitive ». Mais la lettre, datée du 23 juillet, arriva trop tard pour contenir la pire violence. Morales fit remarquer que le courrier de Zane n’arriva qu’en réponse à la pression internationale. Il sortit un tas de lettres de syndicats et groupes solidaires de tous pays, et même un courrier de la AFL-CIO demandant au représentant commercial des États-Unis de rétablir la révision du statut préférentiel du Guatemala concernant les bénéfices commerciaux du Système général de préférences. La révision avait été suspendue en mai. Casertano a prédit « une lutte prolongée » pour le syndicat, mais ajouta que la pression internationale aiderait la cause des travailleurs. « A présent, nous sommes dans des conditions qui nous permettent de nous déplacer rapidement et nous pouvons organiser, dans le Nord, une réponse de la part des consommateurs, étudiants et syndicats afin de créer une situation inconfortable pour toute compagnie qui voudrait réprimer les droits de ses ouvriers » a dit Casertano. Wal Jong Lee, sous-directeur des usines, non seulement a refusé de répondre aux questions d’un reporter étranger stationné sur une voie publique en dehors de l’entreprise, mais encore le frappa à plusieurs reprises. Et il a ajouté que les journalistes n’avaient pas le droit de s’arrêter sur la route...


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2560.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 26 octobre 2001.

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