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DIAL 2618
ÉQUATEUR - Tensions dans le gouvernement de Lucio Gutiérrez à propos de la politique économique et des relations avec les États-Unis et la Colombie
Kintto Lucas
dimanche 16 février 2003, mis en ligne par ,
Certains propos tenus par le président Lucio Gutiérrez lors du voyage qu’il vient d’accomplir aux États-Unis du 9 au 15 février ont suscité de sérieuses critiques de la part du mouvement indigène qui participe au gouvernement et qui lui a permis de remporter les élections présidentielles. Il lui est reproché de s’aligner sur la politique des États-Unis, notamment en ce qui concerne le conflit colombien et la lutte antiterroriste. Sa politique économique est aussi contestée : on attend de lui une politique qui soit d’abord en faveur des plus pauvres. Article de Kintto Lucas, dans IPS, 12 février.
Quito, 12 février. Le député du Mouvement indigène de l’Unité plurinationale Pachakutik Nouveau pays, Ricardo Ulcuango a attiré l’attention sur les possibles engagements pris par Gutiérrez lors de sa visite officielle cette semaine à Washington où il a indiqué que le nouveau gouvernement de l’Équateur voulait être « le meilleur allié des États-Unis ».
Ricardo Ulcuango a souligné : « Il est important d’avoir de bonnes relations avec toutes les nations et donc aussi avec les États-Unis si cela ne signifie pas que l’on s’engage en faveur de leur politique internationale ou qu’on leur concède des postes stratégiques, comme la base militaire du port de Manta », au nord-ouest de la côte équatorienne de l’Océan Pacifique.
Gutiérrez a accepté la possibilité pour son pays de participer à « un cordon naval antiterroriste et au programme d’interdiction aérienne et maritime », proposés par le gouvernement des États-Unis de Georges W. Bush pour aider la Colombie dans sa lutte contre le narcotrafic et l’insurrection. Cette position heurte de front la position du Mouvement Pachakutik en politique internationale, auquel appartient la ministre des affaires étrangères Nina Pacari. Gutiérrez est arrivé au gouvernement le 15 janvier après avoir gagné les élections de novembre comme candidat d’une alliance de son parti Société patriotique avec les indigènes.
Ulcuango a critiqué l’appui exprimé par Gutiérrez à la politique du président de Colombie Alvaro Uribe, dans le conflit armé intérieur à ce pays, car cela signifie « prendre parti dans cette guerre et va contre les principes de neutralité exprimés par l’Équateur et par Pacari ».
Ainsi, le dirigeant indigène a répondu à Gutiérrez qui avait dit lundi à Washington au cours de la première journée de sa visite de cinq jours, que, si on n’appuyait pas d’une façon plus active Uribe et sa politique, qui est adéquate à la situation, il s’ensuivrait certainement le sacrifice de la vie de davantage de personnes en Colombie. Le président équatorien faisait ainsi référence à la demande d’Uribe pour davantage d’aide de la part des États-Unis et d’appui de la part de l’Organisation des États américains pour lutter contre le narcoterrorisme, après l’attentat perpétré vendredi 7 février à Bogota où plus de 30 personnes moururent et où furent blessées 170 autres.
Ulcuango a déclaré que cet alignement sur Uribe « peut conduire l’Équateur à s’engager dans le Plan Colombie de lutte contre la drogue et la guérilla, plan qui aggrave la guerre en Colombie et peut l’étendre à toute la région ».
Cependant, Gutiérrez a rectifié ce mercredi ses déclarations et a affirmé que son propos complet avait été que son gouvernement cherchait à être « le meilleur allié des États-Unis dans le combat contre la corruption, l’analphabétisme et le terrorisme ». Parfois, les journalistes coupent les phrases et les déclarations sont mal interprétées, a accusé le président qui est allé à Washington pour rencontrer Georges W. Bush et d’autres autorités, et pour conclure, en plus, un accord pour un crédit du Fonds monétaire international. Il a également indiqué qu’on avait mal compris les paroles qu’il avait prononcées lundi 10 au sujet de la Colombie, et que sa véritable position est de faire « tous les efforts possibles pour rechercher une solution pacifique » à ce conflit intérieur armé.
Mais ces déclarations n’ont pas satisfait Ecuarunari, le groupe le plus important de ceux qui font partie de la Confédération des nationalités indigènes d’Équateur et qui réunit les peuples de nationalité kichwa, la plus nombreuse avec une population de près de trois millions de personnes.
De son côté, le coordinateur national de Pachakutik, Miguel Lluco, a déclaré que la solution à la guerre civile en Colombie ne peut être trouvée que dans le cadre de négociations entre le gouvernement et les guérillas de gauche. Il a signalé que « l’unique appui que l’Équateur peut apporter, au cas où les parties le voudraient, est d’aider à renouer le dialogue pour trouver une issue politique ».
Gutiérrez a également lancé aux États-Unis un appel aux entreprises pétrolières pour qu’elles investissent en Équateur et il leur a offert « sécurité juridique et stabilité politique », autre aspect critiqué par les indigènes. Pour le député Ulcuango, ces propos signifient que les entreprises étrangères ne veulent pas payer d’impôts, comme elles l’ont demandé au cours des années antérieures.
L’investissement étranger est bon, a-t-il déclaré, « s’il ne signifie pas une atteinte portée aux droits collectifs des peuples indigènes et s’il ne signifie pas une plus forte contamination des territoires ancestraux ».
Le Conseil politique de Ecuarunari a demandé à Gutiérrez de rectifier à temps « ses erreurs dans la conduite du pays et de ne pas causer davantage de mal à la majorité des pauvres d’Équateur ». Il a indiqué : « Ce que n’avaient pas pu faire les gouvernements de Jamil Mahuad (1998-2000) et de Gustavo Noboa (2000-2002), Gutiérrez est en train de le faire puisqu’il accomplit fidèlement le mandat du FMI. »
Ecuarunari a demandé la démission du ministre de l’économie et des finances, Mauricio Pozo, comme l’avait déjà fait une semaine plus tôt le groupe des députés du Mouvement Pachakutik.
Le communiqué d’Ecuarunari signale que « par l’intermédiaire de Pozo, avec ses secrétaires d’État et les collaborateurs des gouvernements antérieurs (nominations qui n’ont pas été faites avec le consentement de l’alliance), on nous impose les conditions du FMI en continuant d’implanter la politique néolibérale ». Dans ce texte, on s’interroge également sur le projet de budget national pour cette année, envoyé par le gouvernement au Congrès, dans lequel 42 % des ressources publiques sont destinés au paiement de la dette extérieure. Ecuarunari affirme : « Il est encore temps pour Gutiérrez de corriger ses erreurs et de retrouver la confiance de la majorité des Équatoriens, et nous demandons le renvoi immédiat du ministre de l’économie et de son équipe économique, ainsi que le changement de politique dans la conduite du pays en faveur des plus pauvres. »
Des observateurs politiques ont attiré l’attention sur le risque que court Gutiérrez face à la division de son gouvernement. L’expert Alejandro Moreano a déclaré que la situation future du gouvernement se décidera en fonction des rapports de forces entre les secteurs progressistes qui en font partie, conduits par Pachakutik, et ceux qui sont liés à la droite et à la banque, dirigés par le ministre Pozo. « Il ne s’agit pas de quitter le gouvernement ni de se soumettre au programme de Pozo. Il s’agit de livrer une bataille sociale et politique pour renvoyer le ministre et changer à la racine le programme économique. »
Moreano a ajouté ce mercredi dans les colonnes de son journal bimensuel Tintaji : « Cette bataille inclut de grandes mobilisations sociales - y compris un soulèvement - dont le renforcement de Pachakutik dans le gouvernement. »
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2618.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : IPS, 12 février 2003.
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