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DIAL 2403

ÉQUATEUR - Un colonel explique sa rébellion

samedi 16 septembre 2000, mis en ligne par Dial

Le 21 janvier, le colonel Lucio Gutiérrez, aujourd’hui officier de réserve, fut l’élément clé lors de l’occupation de l’édifice du Congrès national par les indigènes et les travailleurs qui protestaient contre la politique économique du président de l’époque, Jamil Mahuad. Accompagné de 18 officiers, Gutiérrez se dirigea vers le Congrès et empêcha que les forces de répression ne tirent sur le peuple. Avec l’occupation du Congrès, la crise politique se précipita et Mahuad fut obligé d’abandonner le pouvoir et le pays. Mais l’establishment politique réussit au dernier moment à tromper les forces populaires et à reprendre le contrôle de la situation, en portant au pouvoir le vice-président Gustavo Noboa (cf. DIAL D 2347 et 2352). Le jour suivant, Gutiérrez et ses compagnons furent arrêtés et gardés dans des quartiers militaires pendant 138 jours. Amnistiés par le Congrès, ils furent relâchés mais ne purent réintégrer leurs fonctions. De passage au Brésil, Gutiérrez a accordé une entrevue exclusive au Correio da cidadania, parue dans cette publication le 28 août 2000.


Correio : On ne vous connaît aucune participation dans des activités politiques, ni aucune déclaration de type idéologique pendant toute votre carrière militaire. Comment expliquer alors votre prise de position le jour du soulèvement ?

L. Gutiérrez : Par l’indignation. Je n’ai pu supporter sans rien dire la corruption qui régnait dans le gouvernement Mahuad et les souffrances endurées par le petit peuple de mon pays à cause des choix économiques qu’il avait imposés aux plus pauvres. J’ai dénoncé tout cela à plusieurs reprises auprès de mes supérieurs, sans toutefois sortir du milieu militaire. Mais quand j’ai vu que les manifestants allaient être massacrés, alors je suis descendu dans la rue.

C. : Mais Mahuad était un président élu démocratiquement et sa politique avait l’appui de la majorité parlementaire. D’après vous, les forces armées peuvent-elles aller contre la Constitution ?

L. G. : Le serment des officiers des forces armées est de défendre le pays et son peuple, ainsi que le demande la Constitution. Mais quand celle-ci est détournée ostensiblement et d’une manière éhontée, ne pas intervenir sous le prétexte de ne pas enfreindre la Constitution devient du formalisme stupide. Dans le cas précis des manifestations du 21 janvier, le dilemme qui se posait aux militaires était, soit de tirer sur le peuple et tuer 70 ou 100 personnes pour disperser la manifestation et sauver ainsi un gouvernement qui trahit la Constitution, soit de laisser le peuple manifester librement. J’ai considéré qu’utiliser les armes que le peuple lui-même m’avait confiées, pour lui tirer dessus au nom d’un formalisme stupide n’avait aucun sens.

C. : Avec l’arrivée au pouvoir du vice-président Noboa, le mouvement populaire s’est affaibli. D’où vient son échec ?

L. G. : À cause des erreurs que nous avons commises, l’establishment politique a réussi à éviter une déroute humiliante. Mais cela ne veut pas dire que le mouvement des indigènes et des travailleurs ait été vaincu. Il n’a perdu qu’une bataille. D’après mes informations, ses forces se réorganisent et sont prêtes à se manifester à nouveau très rapidement, si aucun changement digne de ce nom n’intervient dans la politique économique et dans la lutte contre la corruption.

C. : Le président Noboa ne fait-il rien pour éviter ces problèmes ? Quelle est la différence entre lui et Mahuad ?

L. G. : La seule différence est que Noboa est plus rapide que Mahuad. En quelques mois de gouvernement, il a mis en place « la dollarisation », il a gelé l’épargne, accéléré les privatisations et s’est servi d’un expédient pour finaliser la cession de la base de Manta aux États-Unis, aliénant ainsi de façon criminelle la souveraineté équatorienne sur une partie de son territoire.

C. : Et l’avenir du colonel Gutiérrez ?

L. G. : J’ai décidé de passer dans l’armée de réserve car, après l’amnistie, les autorités militaires ne m’ont donné aucune fonction. Aujourd’hui je suis un citoyen civil. Avec quelques compagnons civils et militaires, j’ai fondé une entité appelée « Société patriotique 21 janvier » pour mieux organiser la lutte contre la corruption et pour un Équateur vraiment démocratique. Nous ne savons pas encore si cette entité se transformera en parti politique ou restera une entité de la société civile, dont le travail sera de réunir des forces décidées à réaliser une révolution démocratique en Équateur. Notre but est de chasser les corrompus du pouvoir et de transformer radicalement la politique économique et sociale du pays.

 


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2403.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Correio da cidadania, août 2000.
 
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