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DIAL 2399

BRÉSIL - 10ème rencontre interecclésiale des communautés de base

vendredi 1er septembre 2000, mis en ligne par Dial

Du 11 au 15 juillet 2000 s’est tenue dans la ville d’Ilhéus (Bahia) la 10ème Rencontre interecclésiale des communautés ecclésiales de base du Brésil, dont le thème était : « Communautés ecclésiales de base : Peuple de Dieu, 2000 ans de cheminement ». (Pour les rencontres antérieures, voir DIAL D 2173, 1716, 1423 et 1133). Plus de 3000 personnes étaient présentes, dont moitié hommes et moitié femmes, en provenance de la grande majorité des diocèses du Brésil. 63 évêques brésiliens participèrent à la rencontre, ainsi que des représentants d’autres Églises (notamment évangéliques), des peuples indigènes et noirs, etc. Nous publions ci-dessous le texte intégral de la lettre finale envoyée par l’assemblée aux communautés de base, ainsi que l’essentiel de la lettre envoyée aux communautés par les évêques brésiliens présents à la rencontre.


Lettre aux communautés

Juillet 2000 - Année Jubilaire

Chers amis et amies des Communautés ecclésiales de base,

Au nom de la Trinité, la meilleure communauté, nous vous saluons avec beaucoup de tendresse. Ici, au bord de la mer de la belle ville de Saint Georges de Ilhéus de Bahia, du 11 au 15 juillet, au son des tambours, atabaques, berimbaus, tambourins et maracas, la 10ème Rencontre interecclésiale des communautés de base s’est déroulée. Les pluies intenses de juillet ont laissé la ville toute inondée, mais, même ainsi, le soleil nous a visités, répandant chaleur et réconfort, et rendant possible la réalisation des activités.

Nous avons senti la force de la paix dans les démonstrations de tendresse des familles, des communautés, de l’équipe de coordination, de Mgr Mauro Montagnoli [évêque local] qui nous ont si bien accueillis. La préparation de la rencontre fut un grand travail accompli en commun par toutes les communautés de l’État de Bahia. 1 128 personnes ont permis le fonctionnement des différents services, sans compter les millions de mains de tout le Brésil qui ont offert le matériel nécessaire, les souvenirs d’artisanat, la nourriture et les fruits... Des 309 évêques de l’Église catholique du Brésil, 63 étaient présents avec nous. Des 267 diocèses brésiliens, 231 étaient représentés. Nous avons reçu aussi des représentants de 8 Églises chrétiennes, des frères et sœurs d’autres religions, en particulier des peuples indigènes et noirs. Nous sommes 1 268 femmes et 1 128 hommes, délégués envoyés par les communautés, 73 évangéliques et 58 indigènes de 27 peuples ; invités, représentants de communautés de 15 pays d’Amérique latine et des Caraïbes, représentants d’autres pays d’Europe et d’Afrique, journalistes, artistes, conseillers, totalisant 3 036 participants.

Des espaces communautaires importants nous ont aidés à partager les expériences et à vivre ensemble : la place de la restauration, Mère Menininha de Gantois ; la foire nationale d’artisanat Heitor Frisotti ; la salle de presse Antonio Carlos Moura ; les tentes de prière pour les différentes expressions religieuses.

Nous avons organisé nos travaux en 6 assemblées que nous avons appelées arraiais et auxquelles nous avons donné des noms très significatifs pour la résistance des communautés au Brésil : Dorcelina, Dandara, Révérend James Wright, Indien Chicão Xucuru, Eldorado dos Carajás et Dom Hélder Câmara, le prophète pionnier de l’Église des pauvres. Nous avons fait mémoire de notre chemin, partagé nos rêves, nos défis et nos engagements.

Mémoire et cheminement

Dans la grande tradition biblique du « nos Pères nous ont conté », les communautés ont toujours valorisé la mémoire, car elles savent que Dieu nous parle dans l’histoire concrète du peuple. Elles savent aussi qu’un peuple qui a conscience de son histoire est capable d’éviter les fautes du passé, de consolider les succès et d’avancer fermement vers le futur. Pour cela, nous avons contemplé les 2 000 années de notre cheminement. Nous avons commencé par Jésus et ses premiers disciples, qui furent persévérants dans l’enseignement des apôtres, dans la mission, dans la fraction du pain, dans la prière et le partage fraternel des biens.

Regardant le passé plus proche, nous avons vu que les actuelles Communautés ecclésiales de base (CEB) sont nées de deux tendances qui se mélangent et se complètent : une plus religieuse, par la prière du Rosaire, des groupes de réflexion, des cercles bibliques, des pèlerinages... ; une autre tendance plus sociale, dans les engagements pour les luttes populaires, dans les campagnes et dans les villes.

Nous avons vu que dans les dernières décennies, surtout à partir des Rencontres interecclésiales, nous avons fait un chemin jalonné d’avancées et de difficultés, de victoires et de chutes. À cause de notre action prophétique, nous avons de nombreuses fois fait changer le programme de la société, assumant les questions importantes pour les pauvres. C’est ainsi que nous avons grandi dans la défense des droits de l’homme, la construction de la citoyenneté, la lutte pour la réforme agraire, la valorisation des peuples amérindiens, du peuple noir, des femmes, des enfants, des jeunes, des handicapés et des personnes du 3ème âge.

Nos Églises se sont senties très souvent interpellées pour ouvrir leurs portes, pour accueillir les espérances et propositions des exclus. Nous aidons nos Églises à être davantage des lieux de communion et de participation, à être plus attentives aux droits des pauvres et des femmes, plus sensibles aux divers ministères.

Nous avons fait mémoire, aussi, de l’importance des organisations qui nous aident à nous coordonner. Nous avons noté en particulier les Rencontres interecclésiales. Ce sont 25 ans de cheminement ! Notre fameux « train des CEB » devient chaque fois plus long. Ce sont déjà 10 wagons ! Chacun porte un peu de cette histoire.

Autour de la table de la Parole et de l’Eucharistie, nos célébrations sont toujours très créatives, articulées avec la réalité du peuple souffrant, permettant le lien entre foi et vie. Pour nous, les célébrations sont des moments fondamentaux pour renforcer notre foi dans le Dieu de la vie, pour nous donner des forces sur le chemin, augmentant notre conviction à suivre Jésus. La Bible racontée, chantée, dramatisée et célébrée, tant de fois œcuméniquement, est un outil important pour notre travail et une source d’inspiration pour notre mystique d’engagement.

Dans ce rappel en commun de notre mémoire, ce qui a rempli nos yeux et notre cœur de joie, ce fut de percevoir qu’il y a, de la part des communautés, un engagement très sérieux dans de nombreuses luttes sociales et politiques. Nous avons appris à lier notre foi à la transformation de la société, participant aux associations communautaires, aux groupes de femmes, aux syndicats et aux partis engagés dans un projet politique populaire. Nous avons réussi à élire plusieurs compagnons et compagnes pour des responsabilités politiques, les soutenant et les accompagnant de façon communautaire dans leur présence parlementaire et dans l’administration.

Nous avons vu, aussi, avec beaucoup d’espérance, tout l’effort qui vient d’être fait pour défendre et ressusciter les cultures opprimées, dans les différentes régions du pays.

C’est une joie pour nous que la présence constante et la participation œcuménique de nombreux frères et sœurs d’Églises chrétiennes et d’autres religions. Nous réaffirmons notre alliance avec les peuples indigènes, avec les Noirs, dans leur manière d’être, de s’exprimer et d’être en relation à Dieu.

Dans ce rappel en commun de la mémoire, plusieurs défis ont été soulignés. Nous voulons partager avec vous nos doutes et questionnements afin d’affronter ensemble les obstacles qui surgiront.

Nous percevons que, très souvent, notre identité manque de clarté. Il y a quelques communautés fermées et préoccupées uniquement par des sujets internes. Les pratiques autoritaires continuent, aussi bien de la part du clergé que des laïcs, hommes et femmes. Dans certaines communautés, la Bible a été lue de manière fondamentaliste.

Ces difficultés et quelques autres ne nous découragent pas ni ne nous empêchent de rêver en un monde nouveau et une Église nouvelle. Les fruits recueillis en ce parcours de 2 000 ans nous donnent la certitude qu’aucune sécheresse ne pourra anéantir la force des semences irriguées par le sang des martyrs.

Utopies, espérances, rêves et défis

Le troisième jour de la rencontre, toutes les assemblées ont réfléchi sur l’importance de l’utopie et de l’espérance dans la vie personnelle, dans celle de l’Église et de la société. Face à la société néolibérale qui enlève aux pauvres et aux exclus le droit de rêver, le rappel de l’espérance et de l’utopie a été mis comme une des grandes missions des CEB.

L’égalité dans toutes ses dimensions, avec une vie abondante, avec justice et paix, sans discrimination de classe, de genre ou d’ethnie, et avec pleine valorisation de la personne a été présentée comme le grand rêve à réaliser.

Nous rêvons d’une Église participative, toute ministérielle, unie dans le respect de la diversité, missionnaire. Une Église mère, accueillante, pauvre, engagée pour la cause des exclus et ouverte aux nouveaux défis. Les CEB souffrent de se sentir si souvent privées de la table eucharistique dans leurs célébrations dominicales et demandent à l’Église de repenser avec urgence la question des ministères. Les CEB rêvent encore d’une Église où le pouvoir soit partagé, où l’on fasse place à la participation des femmes dans les diverses instances de services et de décisions.

À l’inverse d’une société où la richesse est accumulée dans les mains d’un petit nombre de personnes, où le pouvoir est centralisé, où le savoir est privatisé, nous rêvons d’une Église où tous les responsables puissent témoigner, par leur pratique, d’une nouvelle vie ecclésiale basée sur le partage, la participation et la communion.

Nous rêvons d’une société juste, égalitaire, solidaire, respectant la citoyenneté, les ethnies, assumant les différences comme un facteur de croissance et d’enrichissement mutuel. Visant la construction d’un projet alternatif de société, nous manifestons nos aspirations par l’élection d’hommes politiques engagés dans les administrations populaires, avec un « budget participatif », engagés dans une politique de meilleure distribution des ressources et de la terre, qui promeuvent la démarcation et la garantie des terres des peuples indigènes et des descendants des Quilombos. Nous rêvons d’une présence chaque fois plus grande de chrétiens et de chrétiennes dans les différentes instances de participation et de service dans la société, tels que conseils de droits, associations d’habitants, syndicats, partis politiques et autres organisations et mouvements populaires.

Face à l’actuel modèle de développement économique, destructeur de l’environnement et lié à une mentalité consumériste, nous plaidons pour une société respectueuse des eaux et de la terre-mère, lieu de notre vie solidaire.

De nombreux défis et obstacles rendent difficiles la réalisation de ces rêves. Du point de vue personnel, nous percevons que l’égoïsme, l’individualisme, le découragement, la fatigue, le désenchantement et l’accommodement nous limitent ou nous empêchent d’assumer des luttes de libération à tous les niveaux de la vie. Dans l’Église parfois le rêve d’une nouvelle communion ecclésiale est rendu difficile par le cléricalisme, par le machisme, par la centralisation du pouvoir, par la non-acceptation de la dimension politique de la foi.

Dans la société, nos rêves sont rendues invivables par le système néolibéral qui exclut le Brésil, maintient dans la dépendance économique et empêche la souveraineté nationale. Le chômage, le travail esclave et des enfants, le monopole des moyens de communication sociale, l’ambition du pouvoir, la concentration de la richesse et de la terre, le processus d’endettement généré par les dettes extérieures et intérieures, sans investissement dans le social et dans le secteur productif, font que notre peuple devient chaque fois plus dépendant et plus pauvre.

Nous affrontons ces obstacles et relevons ces défis. Certains de nos rêves en relation avec l’Église deviennent déjà réalité, grâce à l’étude de la Parole de Dieu, aux cours de théologie pour laïcs et laïques, aux missions populaires, à l’engagement auprès du peuple dans les diverses pastorales et services, à la participation des femmes dans les différents ministères, aux liturgies inculturées. Dans la société, le rêve est en train de se concrétiser par la participation aux luttes sociales et populaires, à la lutte pour la réforme agraire, avec la force de mouvements comme celui des Travailleurs ruraux sans terre (MST), dans les luttes pour le respect de la dignité des Noirs et Noires, des femmes, des peuples indigènes, dans la défense des droits des enfants, des adolescents, de la jeunesse et du 3ème âge, dans les luttes syndicales, dans les luttes politiques et celles des partis, dans la recherche d’un processus d’éducation populaire, dans la lutte des peuples indigènes pour leur terre et pour leur autonomie.

Engagements

Nous relevons les engagements communs assumés par les régions, les indigènes, les Noirs et les évangéliques :

 Sauvegarde de l’identité des CEB ;

 Approfondissement de la mystique, de l’organisation et de l’articulation des CEB ;

 Formation biblico-théologique et accompagnement des leaders de façon systématique ;

 Construction de relations égalitaires entre femmes et hommes, dans l’Église et dans la société ;

 Participation effective au « Plébiscite de la dette extérieure » et au « Cri des Exclus » [1] ;

 Engagement dans le processus des élections et de la Loi 9840, loi contre la corruption électorale ;

 Participation aux Conseils des droits ;

 Appui à la lutte des peuples indigènes pour la démarcation et la régularisation de leurs terres ;

 Lutte contre le chômage ;

 Défense de l’environnement ;

 Combat contre les discriminations raciales et appui aux luttes du peuple noir ;

 Appui à la marche mondiale des femmes contre la violence et la pauvreté ;

 Engagement en faveur de la pétition : « Partager la terre pour multiplier le pain », amendement constitutionnel qui limite la taille de la propriété rurale dans le pays, dans la lutte pour la réforme agraire.

*********

Être à Ilhéus en ces jours signifie pour nous sentir le poids des 500 ans du Brésil, et la certitude que seront autres les 500 ans que nous désirons... La célébration d’ouverture, celle de la « Terre sans maux », l’après-midi priante face à la mer, les célébrations dans les assemblées, dans les communautés, la célébration finale avec le grand pèlerinage des communautés nous ont fait vivre des moments d’intense émotion, de purification de la mémoire historique, de renforcement de notre espérance, d’engagement dans l’option pour les pauvres, la lutte pour la justice, la construction de la citoyenneté, la cause de l’Évangile.

Nous retournons à nos communautés avec la bénédiction du Dieu de la vie, aux nombreux noms et visages, qui a libéré le peuple de l’Égypte ; avec la force du Christ ressuscité ; avec la certitude de la présence de l’Esprit d’amour dans nos luttes de chaque jour ; confortés par le témoignage des martyrs qui ont jalonné notre chemin et de ceux qui confessent la foi sans peur ; avec Marie, mère de Jésus et compagne de notre route, à la recherche de la Terre sans maux...

AMÉN ! AXÉ ! AUÊRE ! ALLELUIA !

(...) Nous percevons combien les CEB sont vivantes et agissantes, et nous nous mettons à l’écoute de l’Esprit qui se manifeste en elles.

Comme pasteurs, nous croyons aux CEB, nous confirmons leur route et réaffirmons leur importance pour nos Églises particulières qui, en leur quasi-totalité, ont envoyé leurs délégués et déléguées à Ilhéus.

Dans ces communautés, nous retrouvons les traits de l’ecclésiologie des premières communautés décrites dans les Actes des Apôtres et qui étaient persévérantes dans la prière, dans l’écoute de la Parole, dans la fraction du pain et dans le partage fraternel des biens (cf. Actes 2, 42-45). Dans ces communautés, nous trouvons aussi une réponse aux orientations du Concile Vatican II.

Nous exhortons les CEB à persévérer dans leur partage de vie communautaire, dans la lecture priante et populaire de la Bible, dans leur amour de l’Eucharistie et dans leur engagement social et politique.

Nous sommes conscients des changements et des nouveaux défis qui exigent des transformations dans les expressions concrètes des CEB. Nous voulons les accompagner dans leur effort pour intensifier le travail de formation des chrétiens et chrétiennes laïcs, selon les lignes données par le Document 62 de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) : Mission et Ministères des laïcs et laïques chrétiens, pour :

 lutter pour la reconnaissance de la dignité de l’égalité de la femme, dans les divers aspects de la vie de l’Église et de la société ;

 renforcer l’éclosion de nouveaux ministères assumés également par les hommes et les femmes, adultes et jeunes ;

 maintenir le fécond processus de travail basé sur le « Voir-Juger-Agir-Célébrer-Revoir » ;

 approfondir leur spiritualité et leur pratique œcuménique et de dialogue interreligieux, leur dimension missionnaire et leur présence transformatrice dans la société, ainsi que l’expression inculturée de leurs célébrations et de leur réflexion biblique, théologique et pastorale.

Nous voulons appuyer les CEB dans nos diocèses, par une plus grande présence de nous-mêmes à la base, ainsi que celle des prêtres et des séminaristes, religieux et religieuses ; donner le meilleur de nous-mêmes et des possibilités de nos Églises pour qu’elles continuent à s’épanouir comme communautés de foi, d’annonce, de témoignage de communion, comme héritières du rêve de Jésus et de sa mission libératrice, par laquelle il a offert sa vie et pour laquelle il nous appelle, en nous donnant son Esprit et sa grâce.

Évêques catholiques du Brésil et de l’Amérique latine présents à la 10ème Rencontre interecclésiale


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2399.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) :  10ème Rencontre interecclésiale des communautés ecclésiales, juillet 2000 .
 
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[11. Cf. DIAL D 2400 sur le « Plébiscite de la dette extérieure » et D 2320 sur le « Cri des exclus » (NdT).

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