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DIAL 2408

PÉROU - La confusion

dimanche 1er octobre 2000, mis en ligne par Dial

Un coup de tonnerre auquel personne ne s’attendait : Alberto Fujimori démissionne le 16 septembre. Il est vrai qu’il a fait savoir depuis lors qu’il resterait au pouvoir jusqu’en juillet 2001 et qu’il se représenterait en 2006. L’autre événement est le départ de Montesinos pour le Panama, avec une demande d’asile faite par l’Organisation des États américains. Cet homme disposait dans l’ombre d’un pouvoir considérable, notamment grâce au Service national de renseignements (SIN) et à son influence au sein des forces armées. Conseiller de Fujimori, il en était « l’âme damnée ». Il était fortement craint en raison d’actions qu’aucune morale politique ne semblait limiter. Ci-dessous, articles parus en date des 20 et 25 septembre 2000 dans Ideele (Lima).


La stratégie de Fujimori

L’état d’esprit de nombreuses personnes est passé de l’euphorie de la nuit du samedi à la dépression du mardi noir [1], tout cela entre les deux apparitions publiques d’Alberto Fujimori. De l’enthousiasme débordant des quatre derniers jours, à la confusion et à la crainte d’aujourd’hui.

1. Il faut garder une vision d’ensemble. Un fait historique s’est produit : Fujimori a annoncé son départ. Même les plus optimistes n’espéraient pas cela si tôt et l’événement s’est produit au milieu d’un horrible scandale de corruption. Toute l’habileté de ses actions postérieures ne supprime pas ce fait central : il faudrait que surviennent tant de choses et que les partisans de la démocratie commettent tellement d’erreurs pour annuler complètement le coup, que nous pensons que ce scénario est presque impossible.

2. On a vérifié que Vladimiro Montesinos était même plus puissant qu’Alberto Fujimori. Le plus récent scandale de corruption dans lequel il est impliqué a mis fin à la présidence de Fujimori (...)

3. La stratégie du fujimorisme, qui est de limiter les dégâts, consiste à contrôler et allonger la transition. Il veut la faire à sa mesure, en gardant le pouvoir pendant tous ces mois, avec des intentions que l’on peut facilement imaginer. En termes électoraux, il est clair que ce que veulent les partisans de Fujimori, c’est s’assurer un résultat favorable avec l’un des leurs ou avec quelqu’un qui soit manipulable au pouvoir. Sur le plan personnel, Fujimori ne cache pas son désir de revenir en 2006 et déjà certains disent qu’entre-temps il veut faire partie du Congrès. Dans l’un des actes de cynisme politique les plus impressionnants dont nous avons été témoins jusqu’à aujourd’hui, il a proposé d’éliminer - maintenant que cela lui est préjudiciable - la fameuse réélection présidentielle.

4. L’opposition est très faible et cela préoccupe beaucoup les citoyens. Il n’y a pas de discours unifié et il est trop évident qu’il y a déjà une lutte peu reluisante pour mieux se placer dans la perspective des candidatures des prochains mois. Cela empêche l’opposition d’avoir une stratégie cohérente et unique et rend plus évident, par contraste, le fait que le gouvernement, même à l’agonie, en a une.

Ideele, 20 septembre 2000

« Après consultation de nombreux pays de la région, le secrétaire général [de l’Organisation des États américains (OEA)] serait reconnaissant au gouvernement du Panama de bien vouloir reconsidérer cette demande... je me permets de signaler qu’une décision affirmative - pour donner l’asile à Montesinos - aiderait à l’accomplissement du mandat que nous avons reçu avec le chancelier du Canada, de la part des pays du continent, en accord avec la résolution de l’Assemblée générale de l’OEA du 5 juin et qui se rapporte à la démocratisation du Pérou... » (Lettre de César Gaviria au gouvernement de Panama).

Nous sommes indignés. Tandis que des dizaines d’innocents continuent à attendre dans les prisons une justice qui n’arrive pas, Vladimiro Montesinos échappe à la loi, s’en va du pays, riche en millions, protégé par son complice Fujimori, par le commandement militaire auquel il a confié la responsabilité de toutes les forces armées et par l’OEA.

Sont éthiquement et politiquement inacceptables les raisons exprimées dans la lettre de César Gaviria, secrétaire général de l’OEA, au gouvernement pana-méen et l’écho des déclarations « réalistes » de quelques politiques que nous avons entendus ces deux derniers jours, indiquant que c’était l’unique façon de résoudre la crise politique du Pérou.

L’impunité pour un personnage comme Vladimiro Montesinos est un fait emblématique de la plus grande importance, qui pervertit à la racine tout processus de transition à la démocratie. Elle constitue un signe sans équivoque du prix extrêmement élevé que Fujimori et son régime négocient pour se retirer du gouvernement.

Il en résulte qu’il est pertinent de nous demander : que négocie-t-on ? qui négocie ? et au nom de qui le fait-on ?

Aujourd’hui, lundi 25 septembre, il est clair comme de l’eau de roche, que ce qu’ont négocié ensemble Montesinos, Fujimori et le commandement des forces armées, avec à leur tête José Villanueva, c’est de s’en sortir indemnes à présent et d’obtenir l’assurance qu’ils ne seront pas conduits devant les tribunaux nationaux et internationaux comme auteurs intellectuels de crimes contre les droits humains, avec participation directe au narcotrafic, au trafic d’armes, à la corruption de fonctionnaires publics, entre autres choses. Ils négocient une sortie « dans l’ordre » qui préserve leurs grands profits. Ils inventent, de nouveau, une histoire officielle, étant donné que les propos de Fujimori : « ... accepter la démission de Vladimiro Montesinos et le remercier pour ses services précieux dans la lutte contre le terrorisme... », cautionnent celui qui est, aux yeux du pays et de l’étranger, un délinquant.

Si, après le scandale du trafic d’armes et de la vidéo1, Fujimori avait donné sa démission et convoqué immédiatement à des élections générales, s’il avait destitué Vladimiro Montesinos, s’il l’avait remis entre les mains de la justice et, en sa qualité de chef suprême des forces armées, mis à la retraite le haut commandement complice de Montesinos, la chanson serait différente.

Mais il n’en est pas ainsi. Le pouvoir se maintient. Fujimori reste dans son palais, les chefs militaires restent dans leurs régions, Blanca Nélida (procureur de la nation, imposé par Vladimiro Montesinos) reste à son poste, Portillo à l’ONPE (organisme électoral fabriqué par Vladimiro Montesinos) et le Congrès reste avec sa majorité bâtarde.

Existait-il un danger de coup d’État provoqué par Montesinos et suivi par les chefs des régions militaires ? Alors, pour quelles raisons ceux qui se sont retranchés avec Montesinos dans le « Pentagonito » [2] il y a quelques jours, assurent-ils le commandement des troupes et la garde des armes ? Pourquoi Fujimori a-t-il renouvelé son « soutien

au président du commandement conjoint et aux commandants généraux des forces armées » le dimanche 24 ? Pourquoi Fujimori n’a-t-il pas immédiatement convoqué un cabinet d’unité nationale pour faire face à cette insubordination ? Pourquoi l’OEA, n’a-t-elle pas mis en route le mécanisme de la Résolution 1080 qui doit s’appliquer aux situations d’interruption du régime démocratique dans tout pays de la région ?

Il faut donc se demander : est-ce qu’on a affaire à un départ ou seulement à la recomposition du pouvoir affaibli de Fujimori avec l’aide de la communauté internationale, en attendant de temps meilleurs ?

De plus, il est indispensable de nous demander : qui négocie ?

En ce qui concerne l’OEA, la résolution de Windsor3 n’autorisait absolument pas l’OEA à servir de médiateur pour la sortie de Montesinos (comme c’est très clair maintenant). Ils ont servi d’intermédiaire sans aucun mandat, après être parvenus à un accord avec Fujimori, Montesinos et les forces armées. Ils ont négocié à l’insu de la Table de dialogue, ils ont négocié dans la pénombre, loin du regard des citoyens péruviens.

Et en ce qui concerne l’opposition : certains politiques de l’opposition, sont-ils parvenus à établir un pacte obscur avec la mafia et avec l’OEA ? S’il en était ainsi, ils devront nous rendre des comptes.

C’est pourquoi, maintenant plus que jamais, nous devons exiger la démission de Fujimori, la dissolution du Congrès et la convocation immédiate de nouvelles élections générales, en démontant l’engrenage de Montesinos dans l’ONPE, la JNE (Justice nationale des élections), les programmes gouvernementaux d’allégement de la pauvreté et dans les médias.

L’OEA doit une explication au pays car sa crédibilité est gravement atteinte en raison de sa médiation pour faciliter la sortie du pays de Montesinos. S’asseoir à cette Table dans ces conditions, comme si rien ne s’était passé, serait, au moins pour les organisations des droits humains qui agissent en qualité d’observateurs, une trahison des normes fondamentales de protection des droits humains et cautionner une négociation politique qui n’offre pas de garanties minima pour nous aider à envisager des élections justes et propres.

Ideele, 25 septembre 2000

3. La résolution de Windsor renvoie aux recommandations faites au gouvernement péruvien par une mission de haut niveau de l’OEA - formée, entre autres, par le secrétaire général César Gaviria et le chancelier du Canada, Lloyd Axworthy - qui comportait un plan de réformes pour l’institutionnalisation de la démocratie au Pérou, après les graves déficiences constatées aux dernières élections et les affrontements qui s’en sont suivis (NdT).


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2408.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Ideele, septembre 2000.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 
 

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[1L’affaire du trafic d’armes consiste en un achat d’armes à la Jordanie, destinées à l’armée péruvienne, mais dont une partie est allée aux FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie).

L’affaire de la vidéo concerne un document rendu public le 14 septembre au Pérou. On y voit Vladimiro Montesinos, avant les éléctions, en train de remettre la somme de 15 000 dollars au parlementaire Alberto Kouri, récemment élu sur la liste du parti de l’opposition « Pérou possible » (NdT).

[2Pentagonito : « petit Pentagone », nom populaire par lequel les Péruviens désignent le siège de l’état-major de l’armée péruvienne (NdT).

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