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DIAL 2409
ARGENTINE - Confession des fautes et demande de pardon de l’église
dimanche 1er octobre 2000, mis en ligne par
Dans une déclaration en date du 27 avril 1996, les évêques argentins avaient fait un premier pas pour exprimer leur repentir sur l’attitude adoptée par des « fils de l’Église » pendant les années de dictature (1976-1983) (cf. DIAL D 2073). Le 8 septembre 2000, à l’occasion de l’ouverture du Congrès eucharistique national, a été lu publiquement un texte de demande de pardon en huit points, approuvé par la Commission permanente de l’épiscopat. Nous publions ci-dessous intégralement les points IV, V, VII, VIII de cette déclaration. C’est le point V, qui traite particulièrement des fautes commises contre les droits humains au temps de la dictature, qui a particulièrement retenu l’attention. Certains ont vu dans ce texte un véritable virage opéré par l’épiscopat, d’autres, tout en reconnaissant l’aspect positif de la déclaration, sont beaucoup plus réservés. Il est certain que de tels propos ne peuvent être évalués que si on les réfère effectivement à la gravité de la complicité de l’immense majorité de l’épiscopat argentin. Selon Emilio F. Mignone, sur les quatre-vingts évêques composant alors le corps épiscopal argentin, seulement quatre ont eu « une attitude de franche opposition aux violations des droits de l’homme commises par le régime terroriste » [1].
(...)
I. Confession des péchés contre l’unité voulue par Dieu pour son peuple
[Demande de pardon concernant l’antisémitisme, le manque d’élan au plan œcuménique et le témoignage insuffisant de communion entre les membres de l’Église]
II. Confession des péchés contre la vérité
[Demande de pardon pour l’utilisation de méthodes autoritaires et intolérantes dans l’enseignement de la vérité, et pour s’être considéré comme propriétaire de la vérité]
III. Confession des péchés contre l’Évangile de la vie
[Demande de pardon pour la pratique de l’avortement et de l’euthanasie, les manipulations génétiques et l’acharnement thérapeutique]
IV. Confession des péchés contre la dignité humaine
Parce que, avec tristesse et préoccupation, nous constatons que la perte du sens de la justice, si largement espérée, s’est aggravée et s’est transformée en une situation grave d’injustices sociales enracinées profondément parmi nous.
Parce que nous éprouvons de la douleur à cause de la co-responsabilité de tant de chrétiens dans des formes graves d’injustice et de marginalisation sociale, qui engendrent d’innombrables exclus de la société argentine.
Parce que très souvent nous n’avons pas donné un témoignage authentique de pauvreté évangélique dans notre style de vie et dans nos structures ecclésiales, n’assumant pas suffisamment l’option préférentielle pour les pauvres, les faibles et les malades.
Nous implorons la miséricorde du Seigneur, qui accueille le cœur repenti et écoute le cri des faibles.
Père, nous te demandons pardon pour le style de vie consumériste et pour les attitudes de beaucoup de chrétiens qui contribuent à la marginalisation ou qui font obstacle à la participation de tous les hommes à la vie et au bien de la communauté, certains n’atteignant pas les niveaux élémentaires d’alimentation, accès aux soins, logement, habillement et éducation.
Comme communauté ecclésiale, nous implorons ton pardon pour l’absence de témoignage d’austérité et d’action plus décidée en faveur des pauvres, entendus dans toute l’ampleur de l’expression : les malades, les sous-employés, les chômeurs, les personnes âgées, les sans-toit, les victimes des injustices et calamités, les analphabètes et semi-analphabètes, les marginaux ou laissés pour compte de toute espèce, les migrants et les itinérants, les vastes secteurs de la jeunesse qui sont spirituellement désorientés et les mineurs abandonnés.
Père bon, qui a envoyé ton Fils pour annoncer aux pauvres la Bonne nouvelle et pour donner la liberté aux opprimés, fais grandir la vocation solidaire de notre peuple afin que nous vivions de telle sorte que notre foi en Toi manifeste tout son potentiel pour humaniser et engendrer la dignité.
V. Confession des péchés contre les droits humains
Parce que nous éprouvons de la douleur face à la violation des droits humains fondamentaux.
Parce que le mal de la violence, fruit d’idéologies diverses, a été présent à différentes périodes politiques, particulièrement la violence de la guérilla et la répression illégitime, qui endeuillèrent notre patrie.
Parce que, à différents moments de notre histoire, nous avons été indulgents envers des attitudes totalitaires, portant atteinte aux libertés démocratiques qui naissent de la dignité humaine.
Parce que, par certaines actions ou omissions, nous avons fait des discriminations à l’égard de beaucoup de nos frères, sans nous engager suffisamment dans la défense de leurs droits.
Nous supplions Dieu, Seigneur de l’histoire, d’accepter notre repentir et de guérir les blessures de notre peuple.
Père, nous avons le devoir de nous rappeler devant Toi certains faits dramatiques et cruels. Nous te demandons pardon pour les silences dont nous sommes responsables et pour la participation effective de beaucoup de tes enfants à tant de désaccords politiques, à l’atteinte portée aux libertés, à la torture et à la délation, à la persécution politique et à l’intransigeance idéologique, aux luttes, aux guerres et à la mort absurde qui ont ensanglanté notre pays.
Père bon et plein d’amour, pardonne-nous et accorde-nous la grâce de refonder les liens sociaux et de guérir les blessures toujours ouvertes dans ta communauté.
VI. Confession des péchés contre l’intégrité de la personne dans l’ensemble de la vie sociale
[Demande de pardon pour les mensonges démagogiques, le blanchiment d’argent, le narcotrafic et l’enrichissement illicite de certains]
VII. Confession des péchés contre le respect des cultures et des ethnies
Parce que, dans notre pays, nous avons été indifférents à l’égard des différentes ethnies et des cultures des peuples aborigènes.
Parce que nous n’avons pas toujours respecté leurs coutumes, ni pris en compte leurs valeurs et capacités.
Parce que nous ne voulons pas oublier l’absence de reconnaissance effective des droits des migrants et leur situation de marginalisation.
Nous invoquons Dieu pour qu’il soit miséricordieux pour ses enfants qui demandent pardon pour l’oubli et la mise à l’écart de nos frères.
Père, nous te demandons pardon pour la responsabilité de nombreux chrétiens dans l’exploitation et la discrimination que subissent nos frères migrants ; pour le mauvais traitement et l’indifférence à l’égard des aborigènes, ne prenant en compte ni leur langue, ni leurs valeurs, ni leurs connaissances ni leurs façons de faire ; pour la marginalisation et la discrimination de ces peuples, principalement en raison de l’appropriation violente de leurs terres ; pour le manque de respect à l’égard de leurs traditions religieuses, sans tenir compte de la diversité des ethnies et des cultures, et pour ne pas toujours annoncer le Seigneur de la vie.
Père de toutes les races et cultures, Dieu de la vie, de la terre et du ciel, de la danse et du chant, accorde-nous la force de lutter ensemble avec ces peuples pour qu’ils retrouvent leur identité, cheminant en esprit d’intégration, d’aide et de service pour contribuer à réparer les injustices du passé et du présent.
VIII. Confession des péchés contre l’esprit de renouveau du Concile Vatican II
Parce que, face aux richesses du Concile, il y eut de l’indifférence et de la résistance aux changements dans l’Église, nous supplions Dieu qu’il nous encourage sur le chemin d’une fidélité authentique à son esprit et à ses enseignements.
Père, nous te demandons pardon parce que beaucoup de tes enfants n’ont pas accepté ce passage de l’Esprit dans l’histoire de l’Église et du monde.
Parce que nous n’avons pas assumé suffisamment la réalité de l’Église, peuple de Dieu, le renouveau liturgique et catéchétique, la place centrale de la Parole et de la célébration, et le caractère gratuit du salut.
Parce que, souvent, ce renouveau n’a pas respecté les cultures et le rythme des communautés chrétiennes.
Parce que la place et la mission du laïc n’ont pas été toujours respectés, ni la vocation de la hiérarchie vécue en esprit de service.
Pardonne-nous notre faiblesse et nos silences dans l’annonce publique de Jésus-Christ comme Sauveur des hommes, et pour n’avoir pas défendu son nom contre des blasphèmes.
Pardonne l’ambiguïté et la superficialité dans laquelle nous sommes parfois tombés, dans la prédication de ta Parole, parce que nous avons négligé l’annonce missionnaire et la piété dans la célébration du mystère de notre foi.
Notre Père, Père de ton peuple, accorde-nous la grâce d’accomplir la mission de ton Église selon les orientations du Concile Vatican II, au cœur de notre patrie et du monde, approfondissant ses richesses et les mettant en pratique.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2271.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : Congrès eucharistique national, septembre 2000.
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Les disparus d’Argentine, Cerf, Paris, 1990, p. 46. On pourra aussi se reporter au livre de l’ancien directeur de DIAL, Ch. Antoine, L’Église d’Amérique latine au temps de la guerre froide, Cerf, Paris, 1999 (NdT).