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DIAL 2381

COLOMBIE - L’aide qu’apporteront les États-Unis exacerbera-t-elle la guerre ?

Martin Hodgson

jeudi 1er juin 2000, mis en ligne par Dial

DIAL a déjà présenté à ses lecteurs le Plan Colombie (cf. DIAL D 2374). Un volet est négocié avec les États-Unis, un autre va l’être avec l’Europe. Le point de vue ci-dessous traite essentiellement des effets inquiétants que produira très certainement l’aide nord-américaine. Article de Martin Hodgson, Noticias Aliadas, 10 avril 2000.


Saisissant la lourde mitrailleuse à la proue d’un patrouilleur, le sergent vide le chargeur et le crépitement des balles de calibre 50 résonne sur les rives exubérantes du fleuve Putumayo.

Il ne s’agit que d’un exercice, mais l’infanterie de marine ne peut pas baisser la garde. La forêt dense du sud de la Colombie, une frontière anarchique pour des milliers de guérilleros de gauche, protège les laboratoires clandestins qui produisent plus de 70 % de la cocaïne colombienne. De mémoire d’homme, la base navale de Puerto Leguizamo a toujours été en alerte maxima.

L’année passée, le 90ème bataillon fluvial a détruit 68 laboratoires clandestins et a saisi 201 kg de cocaïne-base et 77 700 kg de feuilles de coca. Cette unité militaire a été l’une des premières en Colombie à recevoir des États-Unis entraînement et équipements. À présent, l’infanterie de marine espère bénéficier de plus de 1,3 milliard de dollars d’aides supplémentaires pendant deux ans, ce qui a fait l’objet d’un débat au Sénat des États-Unis pendant les premiers jours d’avril. Cette aide fut approuvée le 30 mars par la Chambre des représentants par 363 votes contre 146.

Si l’aide est approuvée, l’argent sera destiné à un programme ambitieux de deux ans, destiné à combattre les trafics illégaux de drogues, à rétablir l’économie colombienne affaiblie et à venir à bout de 36 années de conflits armés.

L’aide des États-Unis à la Colombie a augmenté dix fois depuis 1995, ce qui renvoie à l’inquiétude croissante de voir ce pays sud-américain sur le chemin du désastre. L’année passée, la Colombie a reçu 366 millions de dollars en équipements et entraînement, y compris quatre cours d’entraînement au combat fluvial pour l’infanterie de marine de Puerto Leguizamo.

« L’entraînement de la part des États-Unis est utile ici parce qu’ils ont acquis beaucoup d’expériences sur les fleuves du Vietnam. Ils ont perdu beaucoup d’hommes, mais ils ont pas mal appris », a déclaré le lieutenant Germán Arenas qui a été entraîné par les Bérets verts des États-Unis.

La comparaison effraye les hommes politiques étasuniens, mais la raison de l’intérêt des États-Unis pour la Colombie est claire : 80 % de la cocaïne du monde et la plus grande partie de l’héroïne qui se vend aux États-Unis proviennent de la Colombie. Mais beaucoup de politiques étasuniens craignent que l’augmentation de l’aide militaire n’entraîne leur pays dans une autre guerre complexe et interminable dans la forêt.

Des fonctionnaires colombiens et étasuniens disent que le « Plan Colombie » [1] n’est pas seulement une stratégie militaire. L’ensemble des mesures comprend de l’argent pour une réforme judiciaire, les droits humains et le développement économique. Mais l’élément particulier le plus important dans l’ensemble est l’acquisition et l’entretien de 63 hélicoptères de combat.

Les bateaux appuieront les trois bataillons antidrogue entraînés par les États-Unis, qui opéreront au sud de la Colombie, en préparant le terrain pour que les avions arrosent d’herbicide les cultures illégales.

Inévitablement, ceci les conduira à combattre directement tant les paramilitaires que les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) qui gagnent des millions de dollars avec les quote-parts prélevées sur les narcotrafiquants et en raison de la « protection ».

Depuis l’année passée, le groupe rebelle de 15 000 membres a participé à de lentes négociations de paix avec le président Andrés Pastrana, mais s’est refusé à déclarer un cessez-le-feu. Les rebelles tirent régulièrement contre les avions répandant les herbicides et on dit qu’ils ont acquis des missiles sol-air.

Les commandants rebelles disent que la militarisation croissante des opérations antidrogue n’est qu’un prétexte pour augmenter les actions de contre-guérilla, mais les fonctionnaires étasuniens insistent pour dire qu’ils n’ont pas intérêt à s’engager plus profondément dans le conflit intérieur colombien.

Dans la forêt de Putumayo, il est cependant difficile de faire la distinction.

Le lieutenant-colonel José Leonidas Muñoz, commandant du 90ème bataillon, a déclaré : « Nous ne faisons pas de différence entre les opérations antiguérilla et antidrogue ; c’est la même chose. Lorsque nous faisons une incursion contre les trafiquants de drogue, nous savons que nous attaquons la guérilla. »

À Curillo, à 350 km au nord-est de Puerto Leguizamo, beaucoup de gens craignent que l’augmentation de l’aide militaire n’exacerbe la guerre.

Emilio Vivero, habitant de ce lieu, a indiqué : « Nous nous attendons à la violence la plus atroce. Ils disent que ces mesures d’aide vont apporter la paix, mais ce sera la paix des cimetières. »

Dans la profondeur de la savane du sud, Curillo est une localité typique des terres éloignées de tout, à présent sous le contrôle des FARC. Quelques kilomètres plus bas, le chemin conduit à un poste de rebelles en uniforme, et couronnant la colline qui domine le centre de la ville, il y a le poste de police dont l’enseigne a été brûlée, abandonné après une attaque des FARC en décembre.

À une terrasse ombragée sur le bord du fleuve Caquetá, le leader paysan Lucas Caquimbo commente amèrement le fait que « le gouvernement ne s’inquiète pas de savoir si la guérilla est ici ou pas. Il n’a rien à perdre. La seule présence de l’État dans ce village a pour objectif de récolter les impôts ou de pratiquer la fumigation des cultures ». Il n’avait pas achevé de parler que deux avions de reconnaissance et de fumigation croisèrent à basse altitude les eaux obscures en se dirigeant vers leur base.

« Nous sommes habitués à ce bruit », dit Caquimbo.

Mais en dépit de ces presque trois années de fumigation, les chiffres des États-Unis et de la Colombie montrent que la production des feuilles de coca dans ce pays sud-américain a fait plus que doubler depuis 1995. Des preuves évidentes suggèrent qu’après chaque fumigation, les grands producteurs de coca se déplacent sur un autre lieu de la forêt, hors d’atteinte de ceux qui pratiquent les fumigations.

À Curillo, beaucoup de petits producteurs de coca disent qu’ils détruiraient leurs cultures illégales si une alternative économiquement viable existait.

Le défenseur du peuple de la localité, Héver Gómez, a précisé : « les gens sont fatigués de la coca, ils veulent changer, mais ils ne veulent pas finir avec des estomacs vides. »

À des centaines de kilomètres des marchés les plus proches, avec des prix agricoles au plus bas à cause des importations bon marché, les paysans du sud se trouvent quasi dans l’impossibilité de survivre avec les revenus des cultures légales.

Albeiro, agriculteur de 33 ans, dit, tout en déchargeant des ballots de feuilles de coca dans une « cuisine » provisoire de coca : « Pourquoi cultiver le manioc si personne ne va l’acheter ? Au moins avec la coca, je gagne suffisamment pour nourrir ma famille. »

Gabriel Peña considère qu’il a de la chance : quand la parcelle de coca de sa famille fut éradiquée, il avait mis de côté suffisamment d’argent pour acheter une quincaillerie. D’autres jeunes font face à des choix plus difficiles. Il dit : « Ils s’enrôlent dans l’armée, rejoignent la guérilla ou les paramilitaires. À Curillo, il y a 300 personnes sans emploi, et qui va leur donner du travail ? Dans la guérilla, ils ont au moins de quoi manger et se vêtir. »

Les mesures d’aide étasunienne incluent 145 millions de dollars pour des projets de développement, mais des groupes de défense des droits humains considèrent que les campagnes militaires dans le sud de la Colombie pourraient obliger des milliers de personnes à abandonner leur foyer.

« Nous espérons que le Plan Colombie apporte de l’aide aux Colombiens et pas seulement des hélicoptères et des balles, dit Caquimbo. S’il n’en est pas ainsi, le conflit va empirer. »

 


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2381.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 10 avril 2000.
 
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[1Cf. DIAL D 2374 (NdT).

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